CHRONOLOGIE ET CHRONIQUE DANS LA PRODUCTION ROMANESQUE D’AHMADOU KOUROUMA
Par Yaovi Mathieu AYESSI
Université d’Abomey-Calavi, Bénin.
Résumé : Ahmadou Kourouma est l’un des écrivains africains francophones les plus étudiés. Mais peu de réflexions consacrées à son écriture mentionnent la continuité dans laquelle s’inscrit son œuvre. De Les soleils des indépendances à son roman posthume Quand on refuse on dit non, en passant par Monnè, outrages et défis, En attendant le vote des bêtes sauvages et Allah n’est pas obligé, chacun des cinq romans de Kourouma s’offre comme un épisode d’une même intrigue, celle de la politique africaine depuis la colonisation jusqu’au début du nouveau siècle. Il y a une sorte de généalogie interne à l’œuvre romanesque de Kourouma. L’objectif de la présente étude est de reconstituer la chronologie de l’Histoire dont l’auteur se sert pour écrire sa chronique de la politique africaine, rapprochant ainsi son œuvre des gwedé ou continuum de récits des chasseurs Mandé.
Mots-clés : chronologie, chronique, soleil, politique et donsomaana.
Abstract: Ahmadou Kourouma is one of the francophone african writer whose ork is the mest studies. But the few réflections devoted to his writings mention the continuity noticed in his work. From Les soleils des indépendances to his posthunous novel Quand on refuse on dit non, going through Monnè, outrages et défis, En attendant le vote des bêtes sauvages and Allah n’est pas obligé, each of the five novels of Kourouma is proposed as an episode of the same plot, that of the African politics from colonisation till the beginning of the new century. There is a kind of internal genealogy to the novelistic work of Kourouma. The objective of the present study is to reconstruct the chronology of the history that the author has used in order to write his chronicle of the african politics, thus bringing his work closer to gwedé or continuum of the Mandé hunters’narrations.
Key words: chronology; chronicle; sun; politics and donsomaana.
INTRODUCTION
La production romanesque d’Ahmadou Kourouma compte cinq œuvres. L’écrivain s’est inspiré de l’histoire africaine dans la trame narrative de presque tous ses romans. Une brève exploration de la démarche esthétique d’Ahmadou Kourouma montre que son écriture romanesque s’inscrit sur l’axe de la continuité et du témoignage[1]. Dans les réflexions consacrées à l’histoire telle qu’investie par cet écrivain ivoirien dans ses romans, on ne fait ordinairement pas le lien entre la thématique principale et la chronologie dite technique (celle des historiens). Or, quoiqu’autonome (avec un schéma narratif complet), l’intrigue de chaque roman du corpus, peut être appréhendée comme un épisode d’un ensemble.
La problématique qui fonde la présente réflexion est de scruter comment la saga littéraire de Kourouma s’inscrit dans une dynamique de reconstitution de l’Histoire africaine. Nous voudrions approcher la mise en écriture de cette vision de l’histoire à partir des données textuelles et non en fonction de l’ordre chronologique de publication des œuvres. Nous voudrions lire l’œuvre à l’aune de deux axes, chronologique et structurale. Il s’agit d’abord de reconstituer une hiérarchie chronologique renversée par l’écriture. Cette réflexion nous permettra de situer l‘ensemble romanesque de Kourouma par rapport à une certaine tradition littéraire, celle des donsojeli (griots des chasseurs), afin de démontrer que sa production aussi se place dans une perspective de chronique inachevée.
- FRESQUE AFRICAINE ET FICTION ROMANESQUE CHEZ KOUROUMA
Michel Zéraffa conçoit qu’«on doit d’abord considérer le récit comme une grammaire temporelle qui constitue, par excellence, une armature du récit»[2]. Une telle conception amène à s’interroger sur l’ordonnance narrative structurelle qui se cache derrière l’ordre de publication des romans de Kourouma. En effet, l’examen de l’œuvre de l’auteur ne permet pas a priori de se rendre compte qu’il s’agit de la peinture d’une vaste fresque historique donnant une vue générale de l’ère coloniale et postcoloniale, des principaux événements ayant marqué cette période de l’histoire de l’Afrique moderne.
La façon dont les intrigues romanesques sont forgées et s’enchaînent laisse entrevoir une structuration en forme de chronique. Au sens où nous l’entendons, la chronique est un récit mettant en scène des personnages réels ou fictifs, tout en évoquant des faits historiques authentiques, et en respectant l’ordre de leur déroulement. L’œuvre romanesque de Kourouma s’enracine littéralement dans l’univers historique africain au point de transformer cet univers en centre d’intérêt pour l’écrivain. L’histoire africaine est projetée dans l’univers romanesque quoique la tonalité ironique semble donner à la création du romancier les allures d’une chronique carnavalesque.
Il existe plusieurs strates de références politico-historiques dans l’œuvre romanesque de Kourouma. La localisation (spatiale et temporelle dans l’Afrique moderne) se transforme en une reconstitution des pans de l’histoire. Dans la plupart des textes qui composent ses romans, l’écrivain s’attache à raconter l’histoire de personnages qui ont un fort ancrage réel et qu’il fait évoluer dans un milieu socio-ethnique précis, montrant ainsi la manière dont se combinent les influences de la tradition, du milieu et de la politique. On peut, à partir de l’onomastique, établir un état des lieux avec des personnages facilement identifiables. A commencer par l’emblématique figure de l’Empire du Mandé, Samory Touré. De même, Charles Taylor, Samuel Doe, Prince Johnson, Fodey Sankoh, tous connus comme des chefs de faction dans les guerres du Liberia et de Sierra Léone, apparaissent comme des personnages dans la fiction de Kourouma. Il en est de même des acteurs du conflit ivoirien tels que Laurent Gbagbo, Robert Gueï, Alassane Ouattara, Henri Konan Bédié, etc.
Comme dans le donsomaana, la fiction des romans de Kourouma se refuse à prendre trop de liberté avec le réel. L’écrivain dresse une anamnèse active du passé et du présent des sociétés africaines. De ce point de vue, l’œuvre romanesque de Kourouma peut être considérée comme une chronique de l’histoire africaine : la colonisation et la deuxième guerre mondiale dans Monnè, outrage et défis ; les indépendances et le parti unique dans Les soleils des indépendances ; la guerre froide et les dictatures en Afrique dans En attendant de vote des bêtes sauvages ; les guerres civiles dans Allah n’est pas obligé et Quand on refuse on dit non. L’écrivain lui-même n’hésite pas à désigner ses narrateurs sous le vocable de « chroniqueurs officiels» (Kourouma 1990, p. 83). Mais lorsqu’on considère Allah n’est pas obligé et Quand on refuse on dit non, le récit prend de façon évidente l’allure du « roman documentaire» (M. Bakhtine 1970, p. 121) qui fait des personnages des êtres sans masques. Ainsi, des personnes connues pour leur participation à des événements précis occupent-elles les mêmes rôles dans les fictions d’Ahmadou Kourouma que ceux de l’histoire réelle et vécue.
Une ultime interprétation de la forte sollicitation que les romans de Kourouma exercent sur l’Histoire fait apparaître que les faits historiques ont dû tourmenter, obséder l’écrivain pour le pousser à les récupérer comme matériaux d’écriture. L’écrivain se saisit des événements historiques pour tourner leurs acteurs en dérision. Les faits historiques étant constitués parfois d’une vraie anarchie, ils offrent à la plume de Kourouma la facilité de les enrichir de son imagination, pour mieux révéler les mensonges, les manipulations et les retournements grossiers des personnalités historiques. Ainsi, Houphouët-Boigny et Gbagbo apparaissent-ils nommément dans Quand on refuse on dit non ; tout comme Charles Taylor et autres chefs de guerre sont brocardés dans Allah n’est pas obligé. Le résultat est que Kourouma fait de l’Histoire dans les histoires de ses romans.
En réalité, les romans de Kourouma, à l’instar du donsomaana traditionnel, combinent réalité et fantasme. En effet, l’histoire officielle est porteuse de mensonges qui suscitent des polémiques. Que ce soit les relations avec la France, que ce soit sur les relations entre les différentes composantes ethniques des Républiques indépendantes, Kourouma reprend les conflits et les positions majeures des acteurs pour faire de ses romans des chroniques où la fiction se laisse conduire par l’Histoire. Ce faisant son œuvre romanesque devient un musée de la mémoire collective.
Allah n’est pas obligé et Quand on refuse on dit non se prêtent aussi à cette lecture. Dans ces deux romans, le mécanisme d’élaboration des personnages porte en lui des marques du reportage, de la chronique de guerre. L’écrivain confie la narration à un même narrateur : Birahima. Enfant naïf, entraîné malgré lui dans les horreurs des guerres civiles de l’Afrique de l’ouest ; il les traverse en tant que supplétif des chefs de guerre. Après avoir vécu les horreurs survenues sur les théâtres de ces guerres, il en rend compte. Cette façon de relater les faits rejoint la technique narrative du donsojeli et fonctionne comme une allégorie de la chronique à laquelle le griot se livre en suivant les chasseurs dans la brousse. Le lecteur découvre ces guerres de l’intérieur par le regard et les commentaires de Birahima, comme le ferait le sora sur les exploits des chasseurs. L’évolution de l’histoire suit le temps. Cette évolution se fait et se sait à travers le changement du statut même de Birahima. En effet, l’enfant qui a traversé le Liberia et la Sierra Léone en guerre dans Allah n’est pas obligé est devenu presqu’un jeune adulte dans Quand on refuse on dit non où il fait la chronique de la guerre qui a opposé les partisans de Laurent Gbagbo à leurs compatriotes musulmans du nord de la Côte-d’Ivoire. En rapportant les événements survenus au cours de son itinéraire de combattant puis de voyageur, Birahima adopte le principe de la chronique en les faisant correspondre à leur moment. Le récit crée de la même manière une coïncidence entre les étapes du voyage et la progression de la narration de Birahima. Et le lecteur suit l’histoire au rythme de la survenue des faits.
Mais Kourouma n’hésite pas à dépasser ce jeu de réalisme littéraire, pour en arriver à une exploitation directe de faits historiques. En effet, dans les trois derniers romans de ce ‘’chasseur’’, la narration devient une chronique des guerres dans la sous-région au cours des années 2000. Cette exploitation de l’Histoire, par un auteur de fiction avéré, oblige le lecteur à remonter dans les autres romans. Ainsi, le lecteur découvre que chez Kourouma le projet d’écriture romanesque répond globalement à une synthèse de l’Histoire et de la fiction, à un engagement à servir aussi l’Histoire avec la littérature. Les cinq romans de Kourouma forment donc un vaste recueil de faits historiques regroupés par époques et présentés selon leur déroulement chronologique.
- L’ŒUVRE ROMANESQUE DE KOUROUMA : UNE CHRONIQUE DES « SOLEILS DE LA POLITIQUE » EN AFRIQUE
Le concept « des soleils» chez les Malinké et les Bambara connote le temps, l’ère, la période. C’est le même sens que Kourouma, à la parution de son premier roman, attribuait au substantif «soleils» dans le titre Les soleils des indépendances. Par «soleils de la politique» (A. Kourouma 1970, p. 24), l’écrivain entend les différentes périodes ayant marqué l’Histoire de la politique. Nous pouvons donc trouver à l’œuvre romanesque de Kourouma une certaine unité, tant l’ambition d’écrire l’histoire socio-politique de son temps est grande chez le romancier. A travers ses récits, il procède à une étude de son temps, sous le prisme politique. Chaque roman s’offre comme une chronique ou un témoignage rendu par un narrateur ayant la posture d’un griot. Pris dans leur complexité thématique, les différents romans forment des épisodes d’une même histoire : l’essence du pouvoir politique sous les travers de la domination coloniale, de la concupiscence et de la dictature des leaders politiques africains. La tradition, la politique, les faits sociaux deviennent des sujets et des moteurs de l’intrigue. Le sujet romanesque va jusqu’à se saisir de l’actualité brûlante, dans la perspective de la chronique, avec des techniques de reportage propre au journalisme.
De là, le lecteur a l’impression que Kourouma écrit ses romans les uns à partir des autres, afin de mieux organiser les renvois. Ce faisant, il devient possible de jalonner le cours des diverses lignes de ressemblance et d’évolution entre les récits de l’écrivain. En effet, les deux premiers romans, à savoir Les soleils des indépendances et Monnè, outrages et défis, mettent en scène le destin politique des membres de deux lignées rivales de l’empire mandingue. La troisième œuvre (En attendant le vote des bêtes sauvages), essentiellement axée sur la période de la guerre froide, présente la fresque des dictatures africaines.
Dans la diégèse du premier roman, l’avènement des indépendances et du parti unique a sonné le glas de la chefferie et des guerres traditionnelles réduisant du coup «le cousin Lacina à quelque chose qui ne valait pas plus que les chiures d’un charognard» (A. Kourouma 1970, p. 23). Pour mieux comprendre comment sont intervenues les indépendances des colonies françaises en Afrique, il faut se référer encore au dernier roman de Kourouma. En effet, trente-cinq (35) ans après la publication de Les soleils des indépendances, paraît, à titre posthume, Quand on refuse on dit non. C’est dans ce roman que l’auteur explique les motivations de l’octroi des indépendances aux pays africains francophones : «En 1960, la France s’aperçut, après étude avec le Général de Gaulle, que la colonisation de l’Afrique avec des nègres qui évoluaient de plus en plus et demandaient de plus en plus, revenait très chère à la métropole» (A. Kourouma 2004, p. 75). Une fois les indépendances acquises, l’érection et le durcissement des frontières par le parti unique porté à la tête du nouvel Etat de la République de la Côte des Ebènes éloignent Fama de la voie de l’enrichissement et de l’aisance digne d’un prince Doumbouya. Les indépendances pour lesquelles Fama a pourtant œuvré inlassablement s’accompagnent de transformations sociales profondes qui vont le déstabiliser et le désillusionner. L’analphabétisme de Fama pèse comme un héritage négatif sur sa carrière politique, puisque, précise le narrateur dans Quand on refuse on dit non, «l’indépendance ne signifiait pas l’africanisation au rabais (c’est-à-dire l’accès immédiat à des postes de responsabilité de nègres incapables et ignares)» (A. Kourouma 2004, p. 75).
En disposant, sur l’axe du temps, le roman Monnè, outrages et défis paru plus de vingt-deux ans après le premier, et en tenant compte des événements historiques auxquels les récits se rapportent, on s’aperçoit très tôt que le récit de Les soleils des indépendances se présente comme une suite logique de l’histoire qui constitue la trame de Monnè, outrages et défis, puisque l’histoire de ce roman plonge le lecteur dans la période coloniale, celle de la rencontre de l’Afrique avec l’Occident. Paru postérieurement à Les soleils des indépendances, Monnè, outrages et défis est cependant antérieur au premier si l’on s’en tient à la thématique et au contenu de l’intrigue que chacun des deux œuvres abordent. Le deuxième roman de Kourouma a pour cadre historique la période qui précède celle des indépendances en Afrique, et autour de laquelle s’articule l’histoire du premier. En témoigne l’anecdote placée dans l’incipit du roman. A la question du «Centenaire» qui voulait savoir comment s’entendait en français le mot «monnè», le colonisateur répond qu’en vérité il n’y a pas chez eux, Européens, une parole rendant totalement le monnè malinké (A. Kourouma 1990, p. 9). Dans ce roman, c’est la situation de monnè[3], induite par les défaites héroïques des royaumes noirs, qui est relatée. Pour les Malinké et les Bambara en effet, la conquête française fut le pire des malheurs qui leur soit arrivé, et l’ère coloniale a été considérée par eux comme une ère d’esclavage, de monnè.
La poétique de la colonisation que met en lumière le titre du roman (Monnè, outrages et défis) traduit le degré du bouleversement introduit dans la vie sociopolitique du Mandé. Djigui Keita est un prince de l’aristocratie mandingue porté au trône par le titre de succession. Mais une fois au trône il lui est révélé que la pérennité ne lui est pas accordée. En effet, « au cours de la réunion des Européens sur le partage de l’Afrique en 1884 à Berlin, le golfe du Bénin et les côtes des Esclaves sont dévolus aux Français et aux Allemands » (A. Kourouma 1998, p. 11). C’est l’explication que fournissent au lecteur les premières pages de En attendant le vote des bêtes sauvages.
Informé de l’avancée des troupes françaises, Djigui entreprend de faire construire par ses sujets une grande muraille (le tata) autour de la cité. En dépit des rituels exécutés et de la muraille érigée, les troupes françaises pénètrent dans Soba sans coup férir. Djigui se retrouve dans une situation où il doit opérer des choix politiques cruciaux. Balloté entre s’opposer aux nazaréens conquérants et leur faire allégeance, Djigui est écrasé par le jeu politique complexe de la nouvelle administration coloniale qui tente de le contraindre à la démission et à un changement d’opinion politique. Cette diégèse de Monnè, outrages et défis éclaire le passé de Fama, personnage central de Les soleils des indépendances, « né dans l’or, le manger et les femmes » (A. Kourouma 1970, p. 12), mais qui n’accédera pas au trône, parce qu’à la mort de son père Bakary, l’administrateur colonial lui aura préféré le cousin lointain Lacina pour régner sur le Horodougou. Ce passé douloureux de Fama, subrepticement évoqué dans ce roman, se révèle à la lecture de Monnè, outrages et défis, paru deux décennies après, et cela à travers un jeu de rôle. En effet, comme Fama, Kélétigui, héritier légitime du trône, a été évincé du pouvoir par intrigues, manigances, déshonneurs, maraboutages et mensonges. Le résultat c’est que Béma, fils de Djigui, derrière qui se profile l’image du cousin Lacina, est imposé et instrumentalisé par l’administrateur colonial. De ce point de vue, l’intrigue de Monnè, outrages et défis se lit comme le début de l’histoire de Fama et donc de Les soleils des indépendances.
Par ailleurs, Monnè, outrages et défis ne retrace pas seulement l’histoire de la marche inexorable de la colonisation, avec son corollaire de brimades, outrages, défis, mépris, injures, humiliations, dans le Mandé comme dans toute l’Afrique de l’ouest francophone, mais annonce les thèmes des quatre autres romans de l’auteur ; en porte témoignage la formule sur laquelle se referme l’ouvrage : « les indépendances politiques, le parti unique, l’homme charismatique, le père de la nation, les pronunciamientos dérisoires, la révolution ; puis les autres mythes : la lutte pour l’unité nationale […] la guerre à la corruption, au tribalisme, au népotisme, à la délinquance[4]» (A. Kourouma 1990, p. 278).
Pris dans leur contenu sémantique, les éléments de ce passage clausulaire du roman rappellent les maillons de la chaîne de l’Histoire africaine. Ces jalons précis de l’Histoire et de la géopolitique africaine laissent apparaître, tout au moins en filigrane, et de façon chronologique, un exposé des motifs, des thèmes autours desquels vont se tisser les intrigues des autres romans de Kourouma.
Ces mêmes motifs figurent déjà dans le premier roman dans lequel le narrateur considère «la colonisation, le commandant, les réquisitions […], les Indépendances, le parti unique, la révolution comme les enfants de la même couche» (A. Kourouma 1970, p. 132). Les «indépendances politiques» évoquées annoncent, ainsi que l’illustre le contenu du roman Les soleils des indépendances, la période qui va suivre celle de la colonisation et des monnè. De ce point de vue, nous affirmons que le premier roman de Kourouma porte en son sein les germes des intrigues des autres. Par ailleurs, les expressions «le parti unique», «l’homme charismatique», «le père de la nation», elles investissent l’univers narratif du premier roman et se prolongent fortement dans le troisième, En attendant le vote des bêtes sauvages[5].
Kourouma relate dans ce roman comment est parvenu à la tête de chacun des pays africains indépendants, le «Président rédempteur, Père de la nation et de l’indépendance de la nouvelle République» (A. Kourouma 1998, p. 83). A la tête de la jeune République du Golfe, c’est Fricassa Santos qui est désigné président. Une fois le pouvoir acquis, le père de la nation va chercher à l’exercer pleinement.
Rentré de la guerre d’Indochine, Koyaga réclame des droits à Fricassa Santos, Président du nouvel Etat indépendant de la République du Golfe, certainement le Togo. N’ayant pas été satisfait, il fomente un putsch avec ses compagnons d’arme en assassinant le tout nouveau président porté à la tête du pays. A la suite de ce putsch qui rappelle, à maints égards celui perpétré sur le sol togolais le 13 janvier 1963, Koyaga prend le pouvoir et élimine un à un ses alliés d’hier.
La question politique structure l`histoire à travers celle de la gestion du pouvoir. Les différents Présidents qui animent l`histoire politique africaine sont, pour la plupart, présentés à travers des dénominations totémiques. Derrière des personnages tels que l’homme au totem caïman, l’homme au totem hyène, l’homme au totem chacal, l’homme au totem léopard, l’homme au totem lièvre, ou encore l’homme au totem faucon, on pourrait mettre respectivement des noms comme Félix Houphouët Boigny, Jean-Bédel Bokassa, le roi Hassan II, Mobutu Sessé Séko, Ahmed Sékou Touré et Eyadéma Gnassingbé qui incarnent, chacun, à la fois «le parti unique», «l’homme charismatique», «le père de la nation».
Dans les romans de Kourouma, la quête du pouvoir politique mobilise les personnages centraux qui y investissent toute leur intelligence et même de la violence. Koyaga, après avoir échappé aux complots ourdis contre sa personne et en avoir imaginé lui-même plus d’un, finit par asseoir une dictature de fer à la tête de la République du Golfe. Il passe alors « de l’école de la dictature à sa pratique » (A. O. Laditan 2000, p. 269). Paru en 1998, En attendant le vote des bêtes sauvages devient donc la tribune que Kourouma utilise pour dresser un bilan terrifiant de l’exercice du pouvoir en Afrique. Les répressions et assassinats politiques, le culte de la personnalité, la dilapidation des ressources de l’Etat, l’occultisme aux fins politiques, tous les moyens sont bons pour se maintenir au pouvoir. La crise généralisée qui s’installe dans le pays entraîne des soulèvements populaires.
Ces soulèvements sont réprimés dans le sang. «Soulèvements populaires», «jeunes déscolarisés», «fureur destructrice des déscolarisés», «répression sanglante» (A. Kourouma 1998, p.34 8), sur ce terreau bourgeonnent les fleurs de la guerre civile. Ce titre, En attendant le vote des bêtes sauvages, à y voir de près, contient déjà les germes de la barbarie qui se profile à l’horizon, où le bestiaire intègre, sans détours, le monde humain. La guerre civile étant la thématique que développe Kourouma dans Allah n’est pas obligé, ce dernier livre peut être considéré comme la suite logique de En attendant le vote des bêtes sauvages.
Dans ce quatrième roman de Kourouma, l’histoire est axée sur la guerre civile en Afrique de l’ouest. Les bandits de grand chemin se sont partagé les territoires du Libéria et de la Sierra Leone. Sur les théâtres de guerre, les enfants-soldats, des bilakoros, avec Birahima en premier, sont très présents et actifs. La violence et le crime devenus de vulgaires et lâches moyens utilisés pour brimer, tuer, voire exterminer montrent combien l’animalité a pris le pas sur l’humanité. C’est alors qu’apparaît le jeu de Kourouma sur l’Histoire du continent. Injustice, corruption et prédation ont préparé l’avènement des guerres tribales. Populations innocentes, femmes et enfants y payent un lourd tribut. Quand le lecteur fait le lien entre les faits racontés dans ce roman et le moment où ils se sont produits, la valeur de chronique apparaît clairement. Même les noms des personnages concourent, comme nous l’avons montré, à l’expression de cette chronique.
Comme Allah n’est pas obligé, le récit de Quand on refuse on dit non, est construit autour de la guerre civile. Ce qu’il faut souligner à ce niveau, c’est que le principal mobile de ces guerres est la boulimie que la conquête du pouvoir fait naître chez les dictateurs, comme la nouvelle constitution de la Côte-d’Ivoire taillée sur mesure et qui dénie la nationalité aux populations de la Basse Volta considérée comme le prolongement de la Haute Volte devenue Burkina Faso (A. Kourouma 2000, p. 220-221).
Il y a déjà dans la fin du récit de Allah n’est pas obligé ce qui constituera le motif de Quand on refuse on dit non : la question de l’ivoirité. En effet, c’est le refus d’accorder la nationalité à des citoyens du nord de la Côte-d’Ivoire qui est le mobile principal de la guerre tribale dans ce pays. L’histoire relatée dans le roman Quand on refuse on dit non peut être considérée comme la suite logique _ du moins naturelle _ de Allah n’est pas obligé. D’abord, les deux romans ont le même narrateur homodiégétique, Birahima, qui traverse des aventures diverses. Si dans le quatrième roman de Kourouma (Allah n’est pas obligé), ce personnage narrateur est l’un des principaux protagonistes de la guerre, dans le dernier (Quand on refuse on dit non), il se pose en victime qui fuit la guerre. Le titre de ce roman se lisait déjà, en filigrane, dans Monnè, outrages et défis. Kourouma y mentionnait que « la guerre n’est pas un jeu. Elle est le dernier refus de celui qui dit non » (A. Kourouma 1990, p. 185).
On s’aperçoit d’ailleurs que, dans Allah n’est pas obligé comme dans Quand on refuse on dit non, c’est de l’histoire de la guerre civile ou tribale que fait état le narrateur, à la seule différence que les circonstances spatio-temporelles et les mobiles du conflit ne sont pas identiques, même si, au fond, la spatialisation montre que nous sommes, du premier au dernier roman de Kourouma, dans le Mandingue, avec pour centre de gravité Togobala, terre natale de l’écrivain.
Le roman Quand on refuse on dit non qui traite de l’histoire du conflit ivoirien apparaît, à l’étude, comme le prolongement de Allah n’est pas obligé qui retrace les temps forts du conflit libérien et sierra léonais. L’instance narrative, hors de toutes considérations spatio-temporelles, reste la même. En témoigne cette auto-présentation du narrateur : «C’est toujours moi, petit Birahima, qui vous ai parlé dans Allah n’est pas obligé» (A. Kourouma 2004, p. 15). A la différence près que Birahima n’est plus un acteur sur le théâtre de guerre, mais une victime qui doit fuir, parce qu’il est un Dioula en défaut d’ivoirité et privé de sa carte d’identité. Ce nouveau statut du personnage nous semble s’expliquer par une réalité caractéristique de l’activité cynégétique : il arrive que, parfois, le chasseur devienne le gibier. En fuite vers le nord, le jeune enfant soldat traverse un pays devenu le théâtre de massacres et de charniers. Lors de cette odyssée, Fanta, une compagne d’infortune, revient sur la géographie humaine et l’histoire de la Côte-d’Ivoire.
Au-delà de ces aspects, Kourouma se voit cité comme source, dans Quand on refuse on dit non, non de la narration mais de l’information du narrateur Birahima A. Kourouma 2004, p. 85). Ici, la narration du roman se trouve adossée à l’autorité d’une narration antérieure, celle de Les soleils des indépendances. Les histoires des deux derniers romans de Kourouma sont inséparables, comme ces histoires sont inséparables de celle des indépendances. La particularité de Quand on refuse on dit non est d’être un texte qui éclaire Les soleils des indépendances et Monnè, outrages et défis et les commente.
Par les portraits qu’il brosse, par la fresque qu’il peint, Kourouma reproduit l’histoire de la colonisation en Afrique à travers Monnè, outrages et défis, celle des indépendances dans Les soleils des indépendances, des dictateurs à travers En attendant le vote des bêtes sauvages et de la guerre civile dans Allah n’est pas obligé et Quand on refuse on dit non. La référentialité établit alors un pont entre les récits. On en conclut à une chronologie de la diégèse dans l’œuvre romanesque de Kourouma. Dans une perspective interprétative, cette structuration de l’histoire africaine s’appréhende comme l’expression d’une tripartition qui correspond aux trois soleils, aux trois naissances ou aux trois vies chez les Mandenka[6]. La narration de l’initiation de Salimata dans Les soleils des indépendances et celle de l’initiation de la mère de Birahima dans Allah n’est pas obligé se font écho. Depuis le départ pendant la nuit jusqu’à l’arrivée dans une plaine, à la lisière de la forêt, sur l’aire de l’excision (espace sacré) en présence d’une vieille de la caste des forgerons, on note l’intervention du génie de la brousse qui manifeste son pouvoir. Mais il est important de souligner une dernière caractéristique de l’œuvre romanesque de Kourouma, celle d’une série d’épisodes inachevés.
- L’ŒUVRE ROMANESQUE DE KOUROUMA, UNE CHRONIQUE INACHEVEE
Il a été démontré que chaque roman de Kourouma contient des indices annonciateurs de ce qui sera au menu d’un autre roman. La fin de chaque roman apparaît donc comme programmatique, c’est-à-dire qu’elle préfigure du programme thématique mais aussi et surtout narratif que l’écrivain ne fait que développer dans une autre œuvre. La façon dont les intrigues romanesques de Kourouma sont forgées et enchaînées laisse entrevoir une configuration en forme de cercle. Nous pouvons interpréter alors cela comme relevant d’une vision malinké du monde qui conçoit que toute vie s’inscrit dans la continuité. Il se conclut que la structure que figure l’œuvre romanesque de Kourouma est marquée par la propriété d’anticipation, c’est-à-dire qu’elle est, en chacun des aspects narratifs et thématiques, l’anticipation de la suite.
Mais les personnages que cet écrivain crée sont porteurs d’histoires fort inachevées, comme l’illustre cette portion de la dernière phrase de Monnè, outrages et défis : « Nous attendaient le long de notre dur chemin […] ». D’un point de vue narratologique, il s’agit là d’une stratégie de la narration propre au donsomaana[7], qui permet au donsojeli d’annoncer à l’auditoire le thème à développer au cours de la veillée qui va suivre. Cette épilogue du roman permet de faire une projection sur l’avenir de la « Négritie » et fonctionne sur le mode de l’anticipation. Le lecteur retrouve là
Le roman Les soleils des indépendances est également un récit techniquement inachevé. Le lecteur apprend à la fin du récit la mort de Fama. Le narrateur, anticipant sur les événements à venir, lui, annonce que «suivront les jours jusqu’au septième jour et les funérailles du septième jour, puis se succéderont les semaines et arrivera le quarantième jour et frapperont les funérailles du quarantième jour et…» (A. Kourouma 1970, p. 196). A cela s’ajoute l’artifice narratif par lequel l’écrivain clôt l’histoire du roman. En effet, comme le lecteur s’en aperçoit, cette dernière phrase de l’œuvre s’achève par la conjonction de coordination «et» suivie des points de suspension. Cette marque de l’inachèvement du récit fait que le lecteur dans son entendement s’attend à une suite. Et cette suite logique se manifeste, à n’en point douter, à travers En attendant le vote des bêtes sauvages. Dans son analyse de ce roman, Jean-Fernand Bédia montre comment le récit s’organise autour du personnage mythique de Koyaga. En décryptant l’intentionnalité de l’écrivain, il souligne que « l’auteur convie ses lecteurs à un voyage ésotérique, où le cheminement vers le progrès emprunte les détours sinueux du sens métaphorique et ironique du donsomaana » (J.-F. Bédia 2011). L’option même de Kourouma d’adopter, dans En attendant le vote des bêtes sauvages, le découpage en veillées, traduit l’intention de l’écrivain de reproduire la structure et le modèle narratif du donsomaana. En effet, un donsomaana s’échelonne en une série de veillées. Dans son mot de clôture du récit de En attendant le vote des bêtes sauvages, Bingo, le donsojeli, déclare : «Tant que Koyaga n’aura pas récupéré le Coran et la météorite, commençons ou recommençons nous aussi le donsomaana purificatoire, notre donsomana» (A. Kourouma 1998, p. 381). Cette fin de l’intrigue place le lecteur dans une perspective d’attente, comme semble l’évoquer le titre du roman. La chronique de Koyaga et de sa politique reste donc inachevée.
Par ailleurs, le début de Allah n’est pas obligé montre Birahima en compagnie de Yakouba en train de quitter la Côte-d’Ivoire pour le Libéria, à la recherche de tante Mahan, après des sacrifices chez le marabout Sékou. A la fin du même roman, on retrouve les mêmes personnages en train de rentrer du Libéria à Abidjan via la route de Man, les bouffants de leurs pantalons lourds de bourses d’or et de diamant. Mais il leur faut de nouveaux jugements supplétifs d’acte de naissance pouvant leur permettre de se faire établir de nouvelles cartes d’identité. Le lecteur a l’impression que la fin du récit ne correspond pas au dénouement de l’histoire. A travers cette « construction en paliers», on s’aperçoit de l’artifice de l’écrivain à créer une passerelle entre la diégèse de Allah n’est pas obligé et celle de Quand on refuse on dit non.
Quand on refuse on dit non, le dernier roman, se referme sur la phrase suivante : «Et il y avait des gbagas pour Bouaké» (A. Kourouma 2004, p. 143). Un tel énoncé devient paradigmatique pour comprendre la démarche discursive adoptée par l’écrivain. Il crée la perspective d’un prochain épisode : un voyage retour (sur Bouaké ?). D’une part, cette phrase place le récit dans une posture de veillée de donsomaana où le donsojeli observe une pause pour boire de l’hydromel, puisque le donsomaana, en tant que genre littéraire, obéit lui-même à la structure des récits à boucle ou récits enfilés. Cette idée d’une sorte de spectre de donsomaana continu et cyclique, donne à l’œuvre de Kourouma une unité narrative. L’ensemble romanesque de Kourouma s’apparente alors à ce qu’E. Morin et J.-L. le Moigne (1999, p. 44) appellent «une aventure spiraloide qui a un point de départ historique, mais qui n’a pas de terminus». Cette fin de Quand on refuse on dit non pourrait aussi s’interpréter comme une allégorie qui préfigure « le départ pour le pays des chasses éternelles » (J.-F. Ekoungoun 2007, p. 14) de Kourouma lui-même déjà alité qui, pourtant, s’efforçait à rédiger ce roman. C’est ce mouvement que Georges Lukács définit par la formule : «le chemin est fini, le voyage est commencé» (G. Lukács 1968, p. 170). Une telle vision herméneutique que nous dégageons de l’œuvre de Kourouma semble d’autant plus plausible que si l’on met en rapport la dernière phrase de son premier roman qui annonce des funérailles et s’achève par la conjonction de coordination «et» suivie des points de suspension. Mise en regard de celle qui achève la dernière œuvre de Kourouma, à savoir «Et il y avait des gbagas pour Bouaké», elle fonctionne comme une sorte de prémonition ou de vision anticipée de sa propre mort. Mais notre analyse voudrait se limiter à en percevoir les échos d’un prochain épisode de donsomaana, ou le liant qui vient fermer la boucle.
CONCLUSION
La structure de l’ensemble des romans de Kourouma représente donc une variation autour d’un même thème : les tribulations des peuples africains en situation coloniale et postcoloniale. A la lecture, ces romans forment une véritable fresque où se superposent plusieurs récits mythico-légendaires, vus et relatés par un narrateur qui emprunte parfois mot pour mot les détails au récit d’un autre ouvrage de l’auteur[8]. L’originalité de l’œuvre romanesque de Kourouma pour ce qui est du temps des actions, réside dans le fait que le temps de chaque événement s’inscrit dans une vaste fresque historique où la connaissance d’un épisode va déterminer la bonne intelligence de l’autre.
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
CAMARA Brahima, 1983, «Baala Jinba Jakité, un chroniqueur des chasseurs», in Jamana, revue culturelle malienne, n°44 mars avril, pp. 20-26.
KOUROUMA Ahmadou, 1970, Les soleils des indépendances, Paris, Seuil, « points ».
KOUROUMA Ahmadou, 1990, Monnè, outrages et défis, Paris, Seuil, « points ».
KOUROUMA Ahmadou, 1998, En attendant le vote des bêtes sauvages, Paris, Seuil, « points ».
KOUROUMA, Ahmadou, 2000, Allah n’est pas obligé, Paris, Seuil, « points ».
KOUROUMA, Ahmadou, 2004, Quand on refuse on dit non, Paris, Seuil, « points ».
MORIN Edgar , LE MOIGNE, Jean-Louis, 1999, L’intelligence de la complexité, Paris, L’Hamattan.
SOSSOU Pierre Kadi, KRECOUM-KASSI Bernadette, (sous la direction de), 2007, Un donsomana pour Kourouma, Berlin, Wissenschaftlicher Verlag.
ZERAFFA Michel, 1971, Roman et société, Paris, PUF.
[1] Ahmadou Kourouma, dans un entretien accordé à Yves Chemla et paru dans la revue Notre Librairie n° 136, janv-avril 1999, pp.26-29 affirmait que « l’axe principal du roman est (…) de témoigner ».
[2] Michel Zéraffa, Roman et société, Paris, PUF, 1971, p. 74.
[3] Il faut préciser que la notion malinké de monnè n’a de sens que dans un univers « épique ». Brigitte Dodu, (dans un article intitulé «Ahmadou Kourouma, héraut de la »bâtardise »», in Beïda Chikhi et Marc Quaghebeur (sous la dir.), Les écrivains francophones interprètes de l’histoire: entre filiation et dissidence, Paris, Archives et musée de la littérature, 2010, p. 192.), appelle «épique» «l’univers mental s’exprimant dans les attitudes, la rhétorique, la philosophie des sociétés à organisation féodale et aux traditions guerrières comme il en fut dans le Manding, aire culturelle de référence de Kourouma, hantée par le souvenir de prestigieux empires».
[4] C’est nous qui soulignons.
[5] L’idée de recoupement des matériaux thématiques que Kourouma intègre dans son écriture trouve ici un terrain de prédilection à travers l’esthétique du renvoi. Le renvoi thématique est entendu ici comme une reprise du motif de la politique.
[6] En malinké, on dit «manden kara ka kile saba» [Les mandingues discernent, sans vouloir les séparer, trois naissances, trois vies à savoir la parenté, la filiation et le destin personnel].
[7] Le donsomaana est un genre littéraire composite, une longue épopée cynégétique qui a pour fonction première de célébrer les exploits des chasseurs dans leurs combats contre les bêtes sauvages.
[8] On comparera la page 96 de En attendant le vote des bêtes sauvages et la page 179 de l’ouvrage Allah n’est pas obligé. Outre le fait que dans chacun des deux romans c’est un général (le général Tieffi d’un côté et le général Koyaga de l’autre) qui tient le discours à l’endroit des disciples de guerre, les deux textes évoquent la même réalité, celle de la violence et du pouvoir.