LE COLONIAL MALGRE LUI DANS LE TERRORISTE NOIR DE TIERNO MONENEMBO
Adama COULIBALY
Université Félix Houphouët Boigny
Résumé
La question centrale de cette contribution est de savoir si le roman africain peut échapper à la « scène originaire » du trauma colonial. Elle y répond à partir de Le Terroriste noir de Tierno Monénembo. Paru en 2012, dit par une septuagénaire d’un village perdu de France, ce récit raconte les trois ans qu’un tirailleur sénégalais, engagé volontaire, passa à Romaincourt, sous l’occupation allemande.
L’hypothèse est que malgré le décentrement apparent de ce roman du territoire colonial africain, il ne parvient pas à tourner le dos au fait colonial. Il y revient « malgré lui ».
Avec une grille de lecture postcoloniale, ce roman, tiré de la vie d’un personnage historique, participe d’un cheminement de l’interculturel à la transculturalité. A partir d’un survol du fait colonial dans quelques œuvres de Monénembo, elle analyse la distance narrative comme une rhétorique du paradoxe installant ce récit dans le débat postcolonial.
Mots clés : roman africain, Colonial, mémoire, Postcolonial Monénembo
INTRODUCTIONDans le numéro spécial que Notre Librairie consacre à l’écriture du colonial, l’historien ivoirien Pierre Kipré faisait observer qu’ « il n’y a pas en Afrique de « retour du colonial » dans la mémoire collective. Il est toujours présent »[1]. Chez les romanciers singulièrement, il est devenu un fonds si fréquent dans la création que jusqu’en 1983 encore Jean-Marie Adiaffi pouvait remporter le grand prix littéraire d’Afrique noire avec La Carte d’identité[2], avec une trame située dans la période coloniale. Il est vrai que la qualité de son texte tient moins à l’évocation de cette thématique usée que dans le traitement fécond d’une histoire bâtie sur des recherches formelles innovantes unanimement saluées par la critique.S’il existe un mythe de la création qui fait valoir qu’un écrivain n’écrit qu’un seul livre et que les autres sont des récritures de ce premier texte (confirmant l’importante distinction que Foucault introduit entre le Texte et l’Œuvre), la question du colonial pourrait être l’objet d’une interrogation dans le roman africain. Que cache cette permanence du colonial chez ces auteurs ?Cette contribution analyse spécifiquement Le Terroriste noir[3] de Tierno Monénembo. Paru en 2012, ce roman revient sur les trois ans que Addi Bâ, tirailleur sénégalais, engagé volontaire, passa à Romaincourt, petit village des Vosges, sous l’occupation allemande. Germaine Tergoresse, septuagénaire native du village, raconte au neveu du tirailleur, venu de Guinée assister à la pose d’une plaque commémorative dédiée à Addi Bâ, comment celui que les Allemands avaient surnommé Der schwarze Terrorist, entre 1940 et 1943, organisa les premiers émois de la Résistance dans les Vosges avant d’être fusillé le 3 décembre 1943.
Le Terroriste noir, roman loin du champ colonial, échappe-t-il, pour autant, à cette thématique ? L’hypothèse de départ est que malgré le décentrement apparent de ce roman du territoire colonial africain, avec une diégèse déployée dans un petit village français lors la deuxième guerre mondiale, ce roman ne parvient pas à tourner le dos au fait colonial. D’où le titre « Le colonial malgré lui »… Avec une grille de lecture postcoloniale, ce double contexte (colonisation et grande guerre) tiré d’un fait historique, participe d’un cheminement de l’interculturel à la transculturalité.
A partir d’un survol du fait colonial dans quelques œuvres de Monénembo, cette contribution analyse comment la distance narrative d’avec la colonisation installe paradoxalement Le Terroriste noir dans le débat postcolonial.
I-LA VIOLENCE COLONIALE : UN FOND RECURRENT CHEZ MONENEMBO
Un tour d’horizon de la création romanesque de Tierno Monénembo montre bien la place, la récurrence du motif du fait colonial et de sa violence. De Les Ecailles du ciel à Le Roi du Kahel, l’approche typologique montre deux modalités de convocation : il y a les textes du passage colonial, lieu de passage à l’indépendance et ceux de la colonisation. Dans le premier type, le fait colonial apparaît sporadiquement, par épisodes brefs comme la toile de fond d’une histoire des indépendances. Il en est ainsi de Les écailles du ciel et de Cinéma. Peuls, Le roi du Kahel sont des romans de la colonisation au sens où la diégèse s’y forme, s’y déploie et s’y achève. Tous en usent comme d’un outil de la création : un lieu de la violence fondatrice et des fondements du simulacre postcolonial.
- Lieu de la violence fondatrice
Dans les textes du passage colonial, justement, le fait colonial est un espace paratopique, au sens où s’y préparent les fondements de la difficulté des pouvoirs postindépendances.
Dans Les Ecailles du ciel, la colonisation débute par la guerre de Bombah, avec la décapitation de Fargnitéré, le roi légitime. Mais elle s’implante aussi par des campagnes tout aussi violentes et souvent meurtrières tel le projet « Hévéa-contre-manioc », l’opération du colonial gouverneur Rigaux pour la destruction violente des champs de manioc et le bouturage obligatoire de l’hévéa (p.67). Ainsi « l’épisode-Hévéa aura marqué le pays. Il aura fait l’effet d’une date mémorable au même titre que n’importe quelle date de victoire, de traité ou de couronnement que puisse distribuer le cours grotesque de l’histoire » (Les Ecailles du ciel, p.71) ou l’implantation des institutions comme l’école (p.72).
La fin de la résistance dans Les Ecailles du ciel comme dans Peuls est marquée par les traitrises des alliés des héros de la résistance. Par exemple, Haddido « le propre demi-frère du Roi Fargnitéré, le prétendant légal à la succession […] censé commander l’aile de notre armée ! Haddido qui mit ses mains en porte-voix pour se faire l’écho de l’homme blanc : « Le Blanc vous demande de jeter les armes. Si vous obéissez, il ne vous sera fait aucun mal. Si vous vous entêtez, il fera parler ses foudres de damnation. » (Les Ecailles du ciel, p.58)
Cette dynamique de la traitrise resurgit chez Ndourou Wembido une fois les indépendances acquises dans Les écailles du ciel. Du héros dont on voyait les images « en tenue de guerrier enfoncer une triomphale sagaie dans la gueule du dragon colonial » (Les écailles du ciel, p.144), aux premières heures de l’indépendance, ce personnage fait jeter Bandiougou, son compagnon de lutte pour l’indépendance, en prison sans ménagement, pendant dix ans, pour avoir simplement défendu la cause des élèves et des enseignants qui demandaient de meilleures conditions de travail…Mieux qu’une simple mise en abyme ou une technique de simple approfondissement historique, le fait colonial donne plutôt les outils de la profondeur historique du naufrage des indépendances. Le motif participe ainsi d’une lecture très postcoloniale de l’écriture du social et du politique..
Les Peuls dont Monénembo rend compte « des coulisses nauséabondes de l’histoire » (Peuls, p.342) avec ce roman éponymique, dans une dynamique collective, montre justement tout le poids de la violence dans la constitution des Nations. Le nombre pléthorique de guerres, d’exécutions et autres conflits que ce récit met en scène montre tout le mérite des métaphores de la violence et de la construction contenues par les sous-titres tels « Pour le lait et la gloire » (p.17), « Les seigneurs de la lance et de l’encrier » (p.171), « Les furies de l’océan » (p.289). A titre d’exemple, l’épisode de la succession entre deux frères Sorya[4] au trône (Bocar Biro et Pathé) (pp.359-361) se solde par l’exécution de Pathé. Les rivalités interminables finirent par la demande de recours de Bocar Biro au colon Beckmann et à ses colonnes de tirailleurs. Une décision qui lui donna les coudées franches pour mieux asseoir la domination coloniale sur le prétexte de l’aide et de la pacification…
La convocation du fait colonial chez Monénembo dans ces premières œuvres se fait sous un double angle : une fictionnalisation du fait colonial dans Les écailles du ciel ou Cinéma mais aussi dans un fort ancrage historique avec Peuls et Le roi de Kahel. Or, dit justement Mbembé, la colonisation imposée ou appelée maladroitement est
une forme historique de domination à part entière, un rapport de violence s’exerçant sur des espaces, des corps, des objets, des imaginaires et des êtres, une relation d’échange et de négoce, frauduleuse dans la façon dont elle humiliait ses victimes, récompensait ses valets, punissait ses dissidents, nouait avec ses laquais des rapports d’amant et de persécuteur, de bourreau et de protecteur [5]
Dans les deux approches, l’indépendance et sa lecture sont fondamentalement liées à la violence fondatrice de cette rencontre qui ne s’éloigne pas trop d’une trame psychologique fanonienne où la roublardise du pouvoir colonial et sa violence, quand la supercherie ne peut passer, dressent le tableau d’une période des indépendances ou le politique est violent et maître du simulacre… On y voit le simulacre postcolonial en préparation.
- Le colonial : Lieu originaire du simulacre postcolonial
Il est plus juste de parler d’une évocation du passage à l’indépendance dans Les écailles du ciel même si des épisodes de la pénétration sont évoqués. Si Cinéma n’y fait pas explicitement allusion, il y a ce retour obsessionnel du film du "Non de Sékou Touré à De Gaulle" analysé ailleurs sous l’angle du simulacre[6]. Avec le colonial, Les Ecailles du ciel et Cinéma aménagent essentiellement des lieux pour préparer le passage. On pourra bien parler ici de roman de passage colonial.
En 2006, Yves Chemla ouvrait la question coloniale chez l’auteur, notamment, à partir de Cinéma. Il rappelait que ce qui fait sens dans le dispositif complexe de ce récit c’est la difficulté « des frontières de la fiction [qui] parait constituer un arrière plan historique, le passage de l’état colonial à l’état indépendant [revenant] sur le devant de la scène »[7]. Une analogie situationnelle qu’il décrypte dans la figure du « train dans Cinéma, de cette fondation hasardeuse de la ville de Mamou, lieu de toutes les rencontres, témoignage, surtout, d’une double incurie, coloniale puis guinéenne. Le Conakry-Niger fut lancé comme une épopée coloniale digne des westerns, à la même époque que ce que mettent en scène ces derniers et s’acheva comme l’épopée de Binguel en désastre. »[8]
Dans Peuls et Le Roi de Kahel, la colonisation se déploie en un espace hétérotopique, au sens d’espace principal de la fiction. Sous cet angle, on observe une distanciation importante qui pose la question « pourquoi ces fictions d’histoire ancienne avec cet écart temporel ? » (Peuls parait en 2004 et le Roi de Kahel en 2008). Mouralis[9] a particulièrement insisté sur Peuls où « ce retour » vers la colonisation oscille entre une analyse politologique, sensible aux forces en présence, et une tentative visant à définir la place et la signification du fait colonial dans l’histoire de l’Afrique contemporaine. »[10] Le fait colonial permettrait ainsi « une vaste méditation sur l’histoire qui s’opère à travers un récit retraçant une ascension et un déclin. »[11] Mais il précise bien que cette perspective de lecture n’est pas philosophique mais inscrite plutôt dans une charge historique qui met constamment en lumière les causes et les échecs. Cette lecture fait valoir une certaine autonomie de ces récits qui ne sont, d’emblée, pas mis « dans "une théorie des luttes intestines" » chère à l’historiographie coloniale »[12] mais plutôt un manque de rationalité intégrative pour la gestion des indépendances. Ceci lui permet de mettre en évidence « l’inclination de trop de dirigeants à se laisser conduire par le narcissisme et l’imaginaire »[13].
Au cœur de la pénétration coloniale, il y a cette faille, la traitrise originelle[14]. Là où on découvre une tonalité ironique ou parodique chez Kourouma, la faille originelle dans Les écailles du ciel ou Peuls est meurtrière avec une lourdeur psychologique en plus.
En substance, le fait colonial est un fond littéraire presqu’inépuisable. Singulièrement chez Monénembo, il porte à la fois sur la colonisation, sa pénétration, son imposition et sur la décolonisation, la phase de la lutte pour l’autonomie. De cette « scène originaire », dans une métaphore psychanalytique du miroir, Mbembé fait, dans l’écriture africaines de soi, « l’une des matrices signifiantes du langage sur le passé et le présent, l’identité et la mort […] le corps qui donne chair et poids à la subjectivité »[15]. De la sorte, on peut valablement se poser la question de savoir la faille à partir de laquelle l’écrivain produit : la colonisation ? la décolonisation ? Pour rester dans les catégories de Fanon dans Les damnés de la terre, toutes deux produisent des violences fondatrices utiles à analyser. La première est celle qui conditionne le colonisé, en fait un être naturellement de violence alors que le second, dans la perspective de Fanon, prépare une violence postcoloniale à la mesure de l’anéantissement qu’il a subi. Bien souvent, par là même, l’on explique la violence fondatrice et fondamentale de la société postcoloniale. C’est peut-être ce qu’Achille Mbembé dénonce dans la violence fondatrice de Fanon, en parlant de "la mort de la mort"[16], condition d’une postcolonie positive.
Dans la production romanesque de Tierno Monénembo, le retour constant du fait colonial donne le sentiment d’un malaise aux accents de bégaiements constants d’une histoire qui n’en finit pas de mourir, à l’image d’un pêché originel indépassable. Or les indépendances sont acquises depuis maintenant un demi-siècle pour la plupart des Etats africains et singulièrement pour sa Guinée natal. De ce point de vue, au niveau symbolique et historique, ce retour se présente une sorte de mythe de l’éternel trauma à écrire pour exorciser : souci d’écrire à partir d’une faille, une faille profonde voire abyssale dont on n’a peut-être pas fini de sonder la profondeur…Et pourtant, on peut bien parler d’une marche à contretemps de cette dynamique dans l’Empire devenue République…
II-DE L’APHASIE COLONIALE EN FRANCE
Depuis ses origines, le fait colonial accompagne le roman africain, comme le montre ce survol de la production de Tierno Monénembo. Si ce roman montre l’homme problématique que l’Africain est devenu avec la colonisation, le tableau dans l’Empire est autrement plus nuancé. La critique a observé un regain d’intérêt dans les années 2000 en France, un intérêt qui présuppose « la persistance d’un tabou, d’un déni »[17].
- De l’aphasie politique ou la mémoire manipulée…
Laura Stoler avance la notion d’aphasie pour caractériser cette espèce de malaise dans l’évocation du fait colonial dans la métropole autour des années 2000. Elle préfère cette notion linguistique à celle de l’amnésie, notion plus psychologique, parce qu’il s’agit moins d’une méconnaissance que d’une difficulté à parler et d’une méconnaissance des choses à nommer : « Il y a une aphasie coloniale, une déconnexion entre les mots et les choses, une incapacité à reconnaître les choses du monde et à leur désigner un nom approprié. »[18]
Dans les propos introductifs de Retours du colonial ?, Catherine Coquio évoque une double dynamique au début des années 2000 : un retour symptomatique de la question coloniale trop longtemps contournée ou enfouie, sous forme d’un « retour des mémoires coloniales » qui fait parler de hantise ou même de « revenance » »[19] et un retour critique dont les tendances très politiques se sont cristallisées autour du décret 2005-158 du 23 février 2005 portant « Reconnaissance de la Nation et Contribution nationale en faveur des Français rapatriés ». Ce retour critique tente de répondre à la trame symptomatique et aux questions qu’elle soulevait.
L’exploitation très politique du fait colonial a été dénoncée par une bonne partie des intellectuels dont les historiens qui sont allés jusqu’à mettre sur pied un Comité de Vigilance face aux Usages publics de l’Histoire (CVUH). Dans ces Actes de colloque, Philippe Hauser justement souligne les dangers liés à cette loi en parlant de "Mensonge comme opérateur politique"[20]. Sa contribution est un clair constat que les gouvernements de Jacques Chirac et, par la suite, celui de Sarkozy ont engagé, avec cette loi, « une tentative de falsification délibérée de la réalité historique »[21] qui va au-delà de l’aphasie pour lire une situation de manipulation, une stratégie de négation voire de révisionnisme du fait colonial. Geste de rationalisation a posteriori qui méconnait des réalités, de la violence de la colonisation et surtout rejette dans l’oubli le colonisé. Ce mensonge de la mythologie colonial partirait du souci d’agir et de proposer des solutions contre les soulèvements des banlieues de 2005. Ce faisant, observe-t-il, le législateur se travestit dangereusement en historien. Un exemple important du silence ou de l’oubli de la colonisation dans l’historiographie de la République française est rappelé par cette interrogation de Cathérine Coquio à Pierre Nora[22] qu’Anna Laure Stoler rapporte dans sa contribution dans Ruptures postcoloniales : « Celle-ci se souvient lui avoir demandé pourquoi les lieux de mémoire coloniaux étaient absents des neuf volumes. Sa réponse fut qu’il n’en existait pas »[23].
Sur la condition générale du colonisé, c’est bien de cette aphasie dont parle Homi Bhabha lorsqu’il dénonce une « conspiration du silence autour de la vérité coloniale »[24] dans une sorte d’aliénation du sujet dans l’autre. Tous deux tiennent cette incertitude narrative dans l’entre-deux de la culture : entre signe et signifiant, ni l’un ni l’autre, ni sexualité ni race, simplement ni mémoire ni désir. L’aphasie coloniale ne serait alors qu’une forme linguistique d’une tentative de manipulation de la mémoire. A raison, on pourra convoquer la notion ricoeurienne de mémoire manipulée par le politique. Il ne s’agit pas d’un oubli mais d’une stratégie pour relire l’Histoire et lui imprimer une interprétation autre, loin des faits et des émotions qui les ont accompagnés.
Dans ce débat, Catherine Coquery-Vidrovitch[25] semble plus nuancée lorsqu’elle observe que bien des historiens se sont peut-être comportés en défenseurs naïfs d’une « pureté scientifique » alors que des défis épistémologiques évidents se profilaient avec la crise des banlieues de 2005 par exemple. Il s’agirait ainsi d’inscrire et d’analyser l’histoire coloniale comme histoire immédiate autour de ce qu’elle nomme les "mémoires chaudes" : celles des acteurs pas tous disparus, celles des descendants de tous bords.
- …A l’aphasie post-traumatique
Paru après Le Roi de Kahel qui met en scène un personnage fantasque parti à la conquête de l’Afrique pour se tailler un royaume, Le Terroriste noir paraît une dizaine d’années après le débat national sur la question coloniale en France. Il est composé sur un principe de parallélisme de construction saisissant : Addi Ba, un « inconnu sorti des forêts d’Afrique » (Le Terroriste noir, p.126) pour venir initier le premier maquis de Vosges pendant la seconde guerre mondiale. Monénembo livre en substance comment cela a été possible
Il s’appelle Addi Ba. Il est né en Guinée en 1916. Il est adopté dès l’âge de treize ans par un français qui était percepteur à Conakry et il le fait venir à Langeais dans la Turenne. (…) son père adoptif meurt vers 1929-30. Il vient à Paris où il fréquente souvent la mosquée de Paris-pour des raisons religieuses probablement aussi professionnelles (il a été cuisinier à la mosquée de Paris)…Puis la guerre arrive, il s’engage volontairement comme tirailleur sénégalais. Il est fait prisonnier, après la débâcle de la Meuse. Il est prisonnier à Neufchâtel. Il s’enfuit avec 40 de ces compagnons. Il erre dans les forets et finit par tomber dans un village des Vosges où il est accueillit finalement et à la longue il devient résistant, un des premiers résistants de France, en tout cas le premier des Vosges. C’est le personnage d’Addi Ba que je rencontre par hasard dans un Journal du Jeudi en 1989 [26]
Héros oublié en France, Addi Bâ est inconnu en Guinée (son pays natal). Le terroriste noir répond à cette aphasie en France. A un niveau politique, la fin de la guerre a été l’occasion de saluer et de reconnaitre la mémoire des héros, ceux qui ont payé le prix fort pour défendre la Liberté. Or cette fin de guerre, ce moment de reconnaissance se déroule alors que la colonisation se poursuit en Afrique dans les colonies. C’est dans ce vivier de la colonisation que des bras valides ont été prélevés dans les colonies pour défendre le monde libre. Plus de 200000 tirailleurs participèrent à la première guerre mondiale avec plus de 72 000 combattants de l’ex-Empire français morts entre 1914 et 1918. Entre 1939 et 1944, ils sont près de 140 000 Africains engagés. Le regard n’a pas fondamentalement changé dans la mentalité de nombre de colons. On pourrait rappeler l’injustice de l’Affaire du massacre du camp de Thiaroye[27] au Sénégal presque un an après l’exécution d’Addi Bâ pour espionnage et constitution de maquis en France. C’est dire qu’après avoir combattu âprement, après avoir fait reculer ou mis en déroute l’ennemi, les colonnes d’indigènes qui constituaient la ligne de front de certaines offensives sont retirées au profit d’unités plus françaises pour permettre à ces Blancs, plus blanchis d’entrer triomphalement des les villages en libérateurs…
Dans cette logique, en plus des tracasseries administratives habituelles pour les reconnaissances de faits de guerre, pour Addi Bâ, le fusillé d’un matin de décembre 43, « la Libération l’avait honteusement écarté parce qu’il était noir » (Le terroriste noir, p.170). Loin du terrain opérationnel de la colonie, loin de ses pratiques de la colonisation, les deux guerres ont été le lieu de prolongement de ce regard et de cette pratique du rabaissement des tirailleurs sénégalais, comme le rappelle un habitant de Romaincourt, le colonel Melun, fin connaisseur de l’Afrique et ancien gouverneur militaire de Beyrouth.
Ces braves Africains, ces chairs à canon […]. Cela lui faisait mal au cœur qu’on les eût à chaque fois renvoyés dans leur brousse avec un coup de pied au cul, les poumons en sang et les jambes en moins : abrutis, sous gradés absents des citations et des monuments aux morts, et avec ça, un pécule inférieur de dix fois à celui de leurs collègues blancs. » (Le terroriste noir, p. 67)
Le terroriste noir n’est pas un roman colonial au sens d’une exploitation central du fait colonial. Mais on l’y lit en filigrane, en toile de fond du tableau de la vie d’un petit village, Romaincourt, sous l’occupation allemande. La narration de ce récit rencontre l’aphasie dont parle Laura Stoler et en donne un fond plus ancien : "conspiration du silence" à une échelle plus réduite, celle du village de Romaincourt. Dans Le Terroriste noir, elle occupe une période de soixante ans qui sépare l’exécution d’Addi Bâ (décembre 1943) et cette date de 2004 où une plaque commémorative a été dressée sur le plaquis pour que les langues se délient. L’amplitude narrative (Genette) ne porte que sur cette période de trois ans qu’il a passée dans ce village. Le combat pour la reconnaissance est mené par le colonel Melun et la Pinéguette [28] dont le nom programme rappelle tout l’entêtement nécessaire contre l’amnésie, l’injustice et l’aphasie. En somme, un combat contre les clichés, les stéréotypes mais aussi et surtout contre la racine. « Cette plaque là-bas. Une plaque commémorative [qui ne] fait que célébrer un brave, (…) que réparer une injustice, elle nous sort du doute, elle fixe une fois pour toutes la mémoire.» (p.173)
La mort d’Addi Bâ, son exécution dans les geôles de l’occupant, est aménagée et annoncée sur le principe de la paralipse dans le tout dernier paragraphe du récit. A croire que Germaine Tergoresse repousse jusqu’à sa dernière échéance possible cette information, à la fois, dans un geste de refoulement lié au trauma mais aussi pour faire vivre le plus longuement possible "cet étranger venu des colonies" (p32), "ce petit bout d’homme" (p 32),
A une aphasie politique, dont la visée est clairement une sorte de mémoire manipulée comme le dit Hauser, l’aphasie des habitants de Romaincourt relève plutôt de la lourdeur du poids de la parole et d’une sorte de honte que la trame transculturelle des Le terroriste noir résorbe.
III- UN ROMAN DE LA MEMOIRE POSTCOLONIALE TRANSCULTURELLE
Dans « La perception de l’Autre… », Hans-Jürgen Lüsebrink[29] distingue dans la culture occidentale trois positions psychologiques de rencontre de l’Autre. 1-La fascination pour l’Autre 2-La perception de l’Autre étroitement liée, sur le plan anthropologique, à des processus de négation et d’exclusion qui sont générateurs de territoires d’identités avec une attitude à une essentialisation-ontologisation des différences et 3-La connaissance de l’autre ancrée dans un désir à la fois de curiosité et d’information, mais aussi dans une volonté soit de maîtrise de situations interculturelles potentiellement conflictuelles, soit de domination.»[30]
Addi Bâ, le Nègre, « cet étranger venu des colonies » (p.32), personnage principal de la diégèse, passe de la périphérie au centre de la guerre dans les Vosges de même qu’il se hisse au statut d’homme à un moment où il n’y en avait plus beaucoup.
- D’un nègre dans la guerre…
La thématique de la grande guerre et le fait que l’histoire de Le Terroriste noir se déroule loin du champ de la colonisation écartent d’emblée la possibilité d’un roman colonial tel qu’esquissé. On a ainsi une approche oblique du fait colonial. Or, le système onomastique d’Addi Bâ rappelle la colonisation. Alors qu’il est arrivé en France à treize ans, longtemps avant la guerre, comme un fils adoptif d’un français, il n’échappe pas à une vision réductrice à l’opposition raciale. Dans le petit village, il est désigné comme "le nègre" (au moins quarante-deux fois) lorsqu’il était absent, ou même "M. le Noir" par le curé du village (p. 32). On l’appelle aussi le "Sénégalais"(p.39) diminutif de "Tirailleur sénégalais"(l’appellation la plus récurrente après "Nègre") ; "Monsieur le tirailleur"(p.33). Seule Mamiche après quelques temps d’hésitation a le courage de lui demander son nom.
Quand les Allemands arrêtent Addi Bâ, ils parlent de "Ein Neger ! Scheisse neger ! "(p.38). Ce que les Allemands traduisent si clairement c’est une réaction de racisme qui a nourrit la théorie de la supériorité aryenne, fondement du nazisme. Le père Valdenaire croit d’ailleurs que c’est parce que les Allemands n’ont pas de nègres qu’il y a la guerre. Vérité à demi-mots qui rappelle que le Togo et le Cameroun, colonies allemandes, depuis 1883 pour le premier et 1884 pour le second, avaient été arrachés et confiés à l’Allemagne au cours de la première guerre mondiale[31]. La colonie s’invite dans la grande guerre.
Bien d’autres épisodes confirment le traitement "raciste" fait aux Africains venus défendre la Liberté. Il y a cet envoi des tirailleurs sénégalais au front à la bataille de la Meuse ces 18 et 19 juin 1940 (la date est donnée par la Pinéguette) avec des chefs militaires blancs qui les abandonnent au plus fort du combat (p.62.). On peut citer aussi les premières réactions de certains habitants de Romaincourt à l’arrivée de Addi Bâ qui, perdu, déboule par une froide nuit d’hiver dans le bar-boulanger d’Huguette. Ces attitudes confirment le sort des Africains dans la guerre et le regard dont ils sont l’objet dans la Métropole de l’Empire à cette époque-là.
Les Allemands firent vingt-neuf mille prisonniers nègres sur les soixante mille envoyés au front. Ou les autres étaient morts, ou ils erraient dans les forêts de France, traqués par les Allemands et pas toujours bien vus des Français. Certains leur donnaient du pain, voire des médicaments ou des couvertures ; d’autres allaient les dénoncer à FeldKommandatur ou à la Gestapo. Ceux qui avaient lu les manuels coloniaux s’armaient de fusils et, après avoir repéré des groupuscules isolés, allaient à la chasse aux singes comme cela se faisait dans les forêts du Congo. (p.63)
Les Allemands brulèrent vifs aussi les soixante nègres qui campaient autour d’un étang. Ils les avaient cernés, jetés « dans une grange avant d’y mettre le feu. » (p. 65).
L’épisode de la Meuse précise un ordre d’envoi à la mort rappelant que les dogues noirs de l’Empire, ces chairs à canon, peuvent mourir sans grand dommage. L’image est celle d’une logique de la chair à canon de nombreux nègres postés au front qui tombèrent dans des batailles perdues d’avance : « Ce fut le carnage […] Beaucoup de soudanais, Beaucoup de dahoméens, Beaucoup d’ivoiriens ! Beaucoup de guinéens oui, oui, Beaucoup de guinéens ! » (p.65.) A croire que la dynamique de la violence coloniale se poursuit ou poursuit les nègres venus, il est vrai, à la guerre. Aux triples fonctions de la violence coloniale (instituante, de légitimation et de ratification)[32] qui fondent "la souveraineté coloniale", selon Mbembé, le colonisé, tirailleur sénégalais, transféré sur le champ des batailles en France, se retrouve confronté à une violence nouvelle, de nature apocalyptique et indifférenciée.
La présence des tirailleurs qui aurait pu constituer un moment de crise est plutôt celle d’un choix, celui du parti pris de la liberté. En effet, si l’engagement était volontaire en temps de paix, il devenait obligatoire pendant la guerre mondiale avec des contingentements imposés aux colonies : des quotas à satisfaire, en fournissant des soldats pour la guerre.
Dans Vers un multiculturalisme français, Jean-Loup Amselle, à propos de la logique de la présence de la France en Algérie, fait valoir qu’elle aurait pour fondement historique l’expédition d’Egypte et pour assises idéologiques «trois logiques contradictoires quoique étroitement dépendantes : celle de la régénération, celle du droit naturel, celle enfin des classifications raciologiques et linguistiques»[33]. Ces fondements idéologiques expliquent une axiologie de l’identité ou de l’altérité verticale[34] qui est la première réaction à la présence d’Addi Bâ dans les Vosges. L’on est passé d’un racisme clair à la banalisation du mépris. La Tergoresse, la narratrice, elle-même, fonctionne sur le principe d’une spatialité de l’entre-deux, avec un ressort très grammatical entre son « ici »[35], « chez vous »[36] qui confirment que les clichés ont la vie dure. Ainsi, en bien d’autres endroits, le récit convoque cliché et stéréotypes frappés au coin de la pensée hégémonique de l’interculturalité soumise aux aléas de l’altérité verticale. Le stéréotype se lit comme « une expression figée qui renvoie à une opinion publique, à un savoir partagé qui circule dans une communauté à un moment donné de son histoire […] Il participe de ce que l’analyse du discours a appelé le « discours social » (Angenot) ou interdiscours »[37].
On y retrouve les images d’Epinale du nègre lubrique avec Addi-Ba et les femmes des environs ; le cliché du rire franc et instinctif de l’Africain (65 ; p.89 ; 96), ses répliques proverbiales. Soixante ans après, les adresses de la narratrice au neveu d’Addi Bâ venu recevoir la médaille de son oncle, sont encore frappées du sceau de cette lecture sous régime stéréotypé. Elle essaie ainsi de lui expliquer ce qu’est le STO sous l’occupation, n’étant pas sûre que cette « bizarrerie ait traversé les mers jusqu’à [les] atteindre là-bas, sur les bords du Limpopo. » (p.139)
Mais dans les limbes de ce roman de l’Histoire colonial absente, le texte travaille à construire, comme en contrepoint d’une doxa bien implantée. Ce travail de déconstruction ou de reconstruction se fait à partir des traits et des faits d’un homme d’exception…
- …A un homme dans les Vosges
Une lecture transculturelle pourrait inscrire Le Terroriste noir dans la problématique du retour/recours à la culture et lire sa prescription, comme une « "condition de possibilité" de connaissance de l’autre. La présence d’Addi Bâ dans le quotidien des Romanicourtiens change progressivement leur regard sur l’homme dans une sorte d’« esthétisation de la réalité » selon le mot de Benjamin[38] comme si la proximité changeait le regard, rendait l’homme plus homme.
Il n’aura passé que trois ans avec nous, seulement trois ans, mais maman déclarait qu’elle avait l’impression qu’il était là depuis toujours, à notre insu, un peu comme ces nuages qui se forment sous vos yeux alors que vous vous demandez d’où ils ont bien pu sortir. (p. 27)
Au delà de ce contact et de cette empathie du quotidien, ce sont, très clairement, les actions d’Addi Bâ qui lui valent la reconnaissance. Le temps actif passé par Addi à Romaincourt, de sa fuite après sa capture après la bataille de la Meuse, jusqu’à sa mort, aura été considéré par tous les villageois de Romaincourt, comme un habitant à part entière.
Il devient en quelques mois, et l’on ne savait trop par quel tour de magie, un élément familier du décor au même titre que le fronton de l’église ou les piliers de la buanderie.[…]Il devient un Romaincourtien, comme nonon Totor et moi, qui prenait son petit déjeuner chez le maire, déjeunait chez nous, dinait chez mâmiche, recevait les visites de Yolande Valdenaire et deux trois fois par semaine, allait faire une partie de dames chez le colonel (p.101)
Le Terroriste noir, dont le titre est déjà une forme de dépaysement, rappelle le paradoxe « d’une métropole et sa frontière » analysé par L’empire revient[39]. Alors que la métropole est censée avoir plus de sagesse, plus de civilisation, elle sombre dans une barbarie sans nom : la guerre. Le colonisé, le dominé, le tirailleur sénégalais rappelle plus de grandeur d’âme, plus d’humanité, plus de valeur. Il est notable que malgré l’atmosphère de guerre, Addi Bâ acceptait de se séparer de sa tunique militaire :
Revêtu de son uniforme, vous vous rendez compte ?
-Ôtez-moi ça, mais ôtez-moi ça. Bon Dieu ! Vous allez nous faire fusiller ! Lui criait le maire.
Il se mettait en civil pour quelques jours, mais très vite ses caprices de soldat le reprenaient, et de nouveau le colonel exultait et de nouveau le maire s’arrachait les cheveux. (p.97)
Là où le petit peuple de Romaincourt semblait avoir accepté l’occupation, à la suite des autorités politiques, Addi Bâ, par son impétuosité, son attachement presque rigide à la tenue militaire prolonge ainsi la thématique de la résistance.
Une autre forme d’entêtement est cette question lancinante de savoir comment aller à Chaumont (p.56 ; ….p.162 ; 163). Il s’agissait pour lui de faire évader ses compagnons d’arme enfermés à la caserne allemande (la Fronstalag de Chaumont) et de participer à la guerre, du moins à la résistance.
On repense à la diffraction entre le moi et le sujet avec laquelle Mbembé introduit la présence de la colonie dans les écritures africaines du moi : une nomenclature psychologique qui opère une séparation d’un moi, humain, et d’un sujet-objet (taillable et corvéable), « un être-en-écart »[40]. Le motif de la résistance installe un retour de ce moi humain, non pas d’émotion, mais d’action, pour remplir le programme « d’un désir d’être un homme »[41]. Affirmer sa part d’humanité dans l’action. Question centrale de l’agentivité qui détermine le sujet historique. Le motif de la résistance et de la survivance de l’humanité et peut-être aussi de l’héroïsme est des plus éloquents. Addi Bâ participe au sauvetage et à l’exfiltration d’un pilote anglais tombé derrière les lignes (p.134), il récupère aussi plus de cent cinquante personnes qu’il arrache ainsi à la STO[42].
A la réflexion d’Hubert, l’époux de Yolande Valdernaire, voulant « vivre sans les bombes, sans les Boches et surtout sans les Nègres » (p.15), on se souvient de la réponse cinglante et ironique de cette dernière : « C’est triste ce qu’il y a en face » (p.15). Propos plus qu’à la cantonade qui met en lumière la défaite et surtout la misère morale et humaine de la France sous l’occupation. Le propos va plus loin avec la présence du tirailleur sénégalais qui met en lumière le paradoxe « des nègres [qui] se battent pour la France et des Français pour l’Allemagne » (p.187). On peut rappeler cet échange au cœur de la problématique de la présence du colonisé dans cette guerre.
Comment un Noir peut-il se battre pour libérer la France ?
-A cause du devin ! Me répondait-il.
-et la colonisation ? Et l’esclavage ?
-Le feu qui t’a brulé, celui-là même qui te réchauffera. (p.187)
Situation très donquichottesque, s’il en est, situation qui loge le retour du colonial au cœur de la guerre et la résout avec une philosophie de l’amour utile. Ceci fait l’ambigüité, la fragilité de la quête d’Addi Bâ et la beauté de ce récit.
CONCLUSION
La convocation malgré elle de la colonisation dans Le Terroriste noir produit une écriture profondément postcoloniale prise dans la dialectique de la double temporalité que Catherine Coquery-Vidrovitch lui reconnait : à la fois "histoire du passé" mais aussi comme "histoire immédiate"[43]. Histoire immédiate où le vivre ensemble se construit dans le prolongement d’un passé traumatique de descendants de colons et de colonisés converti non en tribunal perpétuel mais en un passé assumé avec responsabilité et non stratégie. Par la focalisation d’un tirailleur sénégalais, Le terroriste noir pose ainsi la question de savoir si la médiation culturelle est toujours hégémonique et frappée du sceau d’une altérité hiérarchique. La question n’est pas anodine au regard des postures postcoloniales qu’évoque justement Postures postcoloniales. Sur la question de la réception, Mangeon observe une posture différente des traditions académiques françaises où « la réception d’un objet culturel au sens de l’accueil : "Comment a été reçu telle œuvre". Dans le vocabulaire issu des Cultural Studies, réception veut dire "comment les gens font sens" […]"comment tel texte a été interprété " »[44]. Tiré de l’historiographie de la participation d’un héros noir, africain, dans la mise en place des fondements de la Resistance à partir de 1940 dans les Vosges (France), ce récit s’inscrit indéniablement dans une veine des écritures postcoloniales, avec la centralité de la mémoire.Que veulent les études postcoloniales ? Opérer, vis-à-vis d’anciennes puissances colonisatrices, un décentrement épistémologique et politique, et brouiller les relations ou les représentations binaires qui prévalent dans les situations coloniales. Pour mener à bien ce projet, elles exposent divers processus de domination ou elles mettent à rebours l’accent sur des influences réciproques et diverses formes d’intrication ou d’hybridation. [45]
Toutefois, la question mémorielle s’accompagne d’un dispositif énonciatif et discursif spécifique et d’une topique des hommes dans la guerre qui font échapper le registre de la relation culturelle de ce texte à une axiologie hégémonique interculturelle pour y décoder plutôt, une sphère cosmopolite (au sens d’Ulrich Beck), un espace transculturel. Le relativisme culturel mis en évidence propose bien une altérité horizontale, non pas de l’indétermination, mais de la mise en relief et de l’affirmation des différences.
BIBLIOGRAPHIE
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Elle est aussi présente dans Monnè outrages et défis d’Ahmadou Kourouma sous la forme du quiproquo historique quand le colon, l’envahisseur passe par le cimetière sacré pour surprendre Djigui et son armée de dos, eux qui avaient laissés ce chemin que personne n’oserait emprunter pour attendre fermement l’envahisseur aux portes de la ville de Soba…Cf. Ahmadou Kourouma, Monnè outrages et défis, le chapitre 3 intitulé « Les hommes sont limités, ils ne réussissent pas des œuvres infinies », Paris Seuils, 1990 pp.28-39. ↑
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Historien célèbre pour ses travaux importants sur la question des lieux de mémoire. ↑
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Source / http://www.dailymotion.com/video/xtwlfu_tierno-monenembo-le-terroriste-noir_news ↑
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Nous citons : « Le massacre de Thiaroye, ou mutinerie de Thiaroye, s'est déroulé dans un camp militaire de la périphérie de Dakar au Sénégal le 1er décembre 1944 quand des gendarmes français renforcés de troupes coloniales ont tiré sur des tirailleurs sénégalais, anciens prisonniers de guerre récemment rapatriés, qui manifestaient pour le paiement de leurs indemnités et pécule promis depuis des mois. Le bilan officiel, rappelé par le président François Hollande lors d'un discours à Dakar le 12 octobre 2012, est de 35 morts. Dans un rapport du 5 décembre 1944, le général Dagnan dénombrait cependant 70 tirailleurs morts ». Consulter le 04 décembre 2015 sur https://fr.wikipedia.org/wiki/Massacre_de_Thiaroye ↑
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Petite fille chétive mais très remuante. ↑
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Hans-Jürgen Lüsebrink, « La perception de l’Autre. Jalons pour une critique littéraire interculturelle », Tangence, n51, 1996, pp. 51-66. ↑
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« La perception de l’Autre. Jalons pour une critique littéraire interculturelle », Loc. Cit. p.54. ↑
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"Colonie modèle" allemande depuis 1884 après le traité signé par Gustav Nachtigal, le Togo passe sous occupation franco-britannique entre 1914-1916, pendant la première guerre mondiale, statut confirmé par un mandat de la SDN en 1919. La même année, Gustav Nachtigal signe un traité qui débute la colonisation allemande du Cameroun. Ici aussi, la colonie passe sous domination franco-britannique avec un mandat de la Société des Nations en 1922. ↑
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Achille Mbembé, De la postcolonie, Essai sur l’imagination politique dans l’Afrique contemporaine, Paris, Karthala, 2000, Avant-propos, p.XVI ↑
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Jean-Loup Amselle, Vers un multiculturalisme français, Paris, Flammarion, Champs-essais, 2001, p.54. ↑
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Pour Beck, l’altérité verticale comporte une double dimension : celle de la négation de la culture de l’autre et l’infériorité de sa culture dans la hiérarchie pour instaurer une distanciation entre nous les autres, ces « barbares ». Cf. Ulrich Beck, Qu’est-ce que le cosmopolitisme ? Paris, Editions Flammarion, 2004, p.104. ↑
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"ICI" p23 ; p.64 ; 67 ; 77 ; 101 ;102 ;104 ;105 ;114 ;123 ;144 ;168 ;175;189 ;195 ; 210… ↑
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Sur le binaire « Chez vous » ( p65 ; 89 ; 169 ; 173 ; 177 ; 223), "Chez nous" (p.101 ;106 ;173). ↑
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Cité par Fredric Jameson,., 1991 : 17. ↑
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Achille Mbembé, « De la scène coloniale chez Frantz Fanon », Rue Descartes, Revue du Collège International de Philosophie, N°58 2007, p.43. ↑
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« De la scène coloniale chez Frantz Fanon », Loc. Cit. p.43. ↑
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Comme l’explique la vieille Tergorese, la narratrice, sous l’occupation, cette pratique de l’envoi de travailleurs français en Allemagne reproduisant l’exacte mesure des travaux forcés en Afrique… ↑
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Catherine Coquery-Vidrovitch, « L’historien, la mémoire et le politique. Autour de la résurgence de la question coloniale », Cultures Sud, N°165, avril-juin 2007, « Retours sur la question coloniale », pp.51. ↑
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Anthony Mangeon, « Introduction », Postures postcoloniales, Domaines africains et antillais, Paris Karthala-MSH-M, 2012, p.9. ↑
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. Idem, p. 7. ↑