LE MYTHE LITTERAIRE DE LA GEMELLITE : LES JUMEAUX N’DA DANS LA TRILOGIE DE JEAN MARIE ADIAFFI
Saran Cissoko Coulibaly
Université de Man (Côte d’Ivoire)
Résumé : Dévoiler les indices qui relève du mythe littéraire de la gémellité dans la trilogie romanesque de Jean-Marie Adiaffi (La Carte d’identité, 1982 ; Silence on développe, 1992 ; Les Naufragés de l’intelligence, 2000 ; tel est l’exercice auquel nous nous consacrons dans le présent article. La lecture faite dans une perspective comparatiste, sous le sceau de la mythocritique, révèle que les jumeaux N’da véhiculent une certaine symbolique qui renforce la transculturalité de ce thème. Nous montrerons d’abord l’émergence du mythe, ensuite nous démontrerons la flexibilité qui renvoie à l’adaptation et à l’adaptabilité du mythe. Enfin nous conclurons par l’irradiation qui implique la signification que le mythe de la gémellité impulse à la création romanesque adiaffienne.
Mots clés : roman n’zassa – figure gémellaire – transculturalité
Abstract : The provision of twins literary myth’s indications in jean Marie Adiaffi’s novel trilogy (La Carte d’identité, 1982 ; Silence on développe, 1992 ; Les Naufragés de l’intelligence, 2000) will be our task in the current article. The reading conducted in a comparative perspective, under the seal of myth criticism, reveals that the twin brothers N’da are vehicles of a symbol that reinforces the transculturality of the theme. We shall first indicate the emergence of the myth, and then demonstrate the flexibility related to its adaptation and adaptability. We shall conclude by the irradiation that implies the signification driven by the twins myth into Adiaffi’s novel creation.
Key Words: n’zassa novel – twin figure – transculturality
INTRODUCTION
La gémellité est un signe d’exception, autant riche que complexe. Et toutes les cultures témoignent d’un intérêt particulier pour ce phénomène. Les figures les plus connues sont celles de Castor et Pollux appelés Dioscures, d’Apollon et d’Artémis, de Romulus et Rémus, etc., dans la mythologie gréco-romaine, et Jacob et Esaü dans la Bible. Parlant des jumeaux, A. Meurant (1997, p. 288) rapporte que : « La fascination qu’il a toujours exercée sur l’ensemble de l’humanité en a fait un objet d’étude privilégie dans des domaines aussi divers que la biologie, la médecine, la psychologie ou la littérature comparée. » Jean-Marie Adiaffi, ne déroge pas à cette règle, il en a fait le thème central de ses trois romans. L’histoire des N’da (nom donné aux jumeaux chez les Agni[1]) se donne à lire comme le récit fondateur du royaume de Bettié et des républiques d’Assilliédougou et de Mambo. D’où le thème de notre article « Les jumeaux N’da dans la trilogie de Jean-Marie Adiaffi et le mythe littéraire de la gémellité. » Ainsi posée, la problématique des jumeaux N’da laisse sous-entendre que le sens de la gémellité, non seulement, relève du mythe mais se perçoit également comme un fait transculturel. L’hypothèse qui fonde notre étude est la similitude du décor, du discours et du scénario mythique avec le mythe européen des doubles. Notre objectif est de montrer la dimension transculturelle de la gémellité. L’étude se fera sous le sceau de la mythocritique telle que définie par Pierre Brunel. Nous montrerons d’abord l’émergence du mythe pour démontrer ensuite la flexibilité qui renvoie à son adaptation et à son adaptabilité. Enfin nous conclurons par l’irradiation qui implique la signification que le mythe de la gémellité impulse à la création romanesque adiaffienne.
- EMERGENCE : LES ELEMENTS CONSTANTS DU MYTHE DE LA GEMELLITE CHEZ ADIAFFI
La Carte d’identité (1982), Silence, on développe (1992), Les Naufragés de l’intelligence (2000) ont été considérés comme une trilogie dont le fil conducteur est l’histoire des jumeaux N’da. Le concept de la gémellité n’est pas clairement évoqué dans la diégèse de La Carte d’identité. Ce sont les illustres ascendants des futurs jumeaux qui y sont représentés. Puis arrivent les jumeaux fondateurs : N’da Sounan Béttié et N’da Fangan Walé de Silence on développe, et N’da Kpa et N’da Tê des Naufragés de l’intelligence. L’attribut gémellaire, ici, représente le dualisme entre le bien et le mal. Le récit de chacun des romans se déroule comme suit : dans le premier roman, les jumeaux n’ont pas encore vu le jour, mais la lecture des deux romans suivants révèle le fil d’Ariane qui existe entre les trois ouvrages[2].
En fait, dans La Carte d’identité, Ebah Ya, la courageuse et frêle jeune fille guide de son grand père Mélédouman –l’Œdipe à la recherche de son identité–, sera la mère des jumeaux dans Silence on développe. À travers un voyage initiatique, Mélédouman dont le nom signifie « je n’ai pas de nom » et Ebah Ya tiennent tête à la puissante administration coloniale, et ce, jusqu’à la réhabilitation des us et coutumes du brave peuple Agni spolié. Pour le second roman, le pays Assiéliédougou (République de la douleur, pays cimetière) lutte pour son accession à l’indépendance et les jumeaux N’da Béttié Sounan (« écoute l’homme ou l’homme libéré ») et N’da Fangan Walé (« force et argent ») sont les principaux acteurs de cette lutte. L’un est cupide, dictateur et colonialiste, l’autre est preux, révolutionnaire et démocrate. Parvenu au pouvoir, après avoir insidieusement assassiné son « autre », N’da Fangan Walé installe à Assiélliédougou une autocratie sans précédent. Aidé de ses adjuvants dont Tahua, la petite sœur des jumeaux, Ehua Assé Aurore dite Kaolin, sa femme à double vue, la prêtresse Priko Néhanda …, N’da Sounan, le bon jumeau « ressuscite » pour conduire son pays à la liberté. Au final, cette histoire de jumeaux ne fut qu’un prétexte des dieux pour montrer l’éternel prévalence du bien sur le mal. Les Naufragés de l’intelligence, le dernier roman, relate encore une histoire de jumeaux N’da, personnages clés du récit. L’histoire se déroule dans la République démocratique de Mambo, un pays africain en proie à la criminalité à grande échelle. L’un des principaux acteurs de cette violence est N’da Tê (le mauvais jumeau). Profitant des pouvoirs que lui confèrent ses attributs gémellaires, il signe un pacte avec le diable et se fait introniser chef de gang des « justiciers de l’enfer ». Son espace de prédilection est la capitale Nguélè Ahué Manou « le monde est pourri » ou précisément le quartier Sathanasse city « la nasse ou la cité de satan ». Contre lui, combat son frère, N’da Kpa (le bon jumeau), scribe de la prophétesse. Cette dernière a la mission divine de la création de Tanguelan, la cité de la félicité. Une fois de plus, au terme du récit, Sathanass city se consume dans le feu alors que Tanguelan s’agrandit. À la lecture de ces trois résumés, la présence du mythogène gémellaire s’avère être un fait indiscutable. Il faut en donner maintenant les détails. Le schéma gémellaire universel est constitué d’une série de principes remarquables dont voici l’essentiel dans ce qui suit.
- Naissance gémellaire, un évènement extraordinaire, des ascendants prodigieux
Scientifiquement, la moyenne statistique selon le film documentaire de N. Tavernier (2009), est d’une naissance gémellaire sur 250 naissances simples. Pour des raisons encore inconnues, un ovule fécondé peut se cloner lui-même et donner lieu à deux embryons distincts. Il arrive que les jumeaux soient identiques au point d’avoir le même ADN[3]. Selon toujours ces recherches, il existe un comportement fusionnel, une communication quasi télépathique, entre les paires. Et comme les ancêtres ne connaissaient pas les règles de la reproduction humaine, le mystère s’est mué en fait extraordinaire. Tant de mystères font forcément appel à la mythologie car le mythe est « …toujours le récit d’une « création » : on rapporte comment quelque chose a été produit, a commencé à être », (E. Mircea, 1963, p. 32). La fonction du mythe étant d’expliquer l’origine des choses inexplicables comme celle de la naissance des jumeaux. Nous en avons pour exemple la naissance des Dioscures (Pollux et Castor) et Romulus et Remus. En effet, Castor et Pollux surnommés les Dioscures (les fils de Zeus), dans la mythologie grecque puis romaine, frères jumeaux célèbres pour leurs nombreux exploits, sont divinisés comme protecteurs des marins. Selon la légende de leur naissance, ils seraient venus au monde, en même temps, de deux œufs différents pondus par leur mère après s’être unie à Zeus changé en cygne et, la même nuit, à son époux légitime, Tyndare. L’un des jumeaux (Pollux) est immortel car né d’un dieu et son frère mortel, parce que fils d’un humain (Castor). De même, concernant les grands ancêtres de Rome (Remus et Romulus), une version du récit traditionnel leur attribue une naissance virginale, l’allaitement par un animal sauvage (le loup) sous la surveillance d’un pivert, l’oiseau de Mars. Les N’da de la trilogie adiaffienne ne dérogent pas à cette règle de naissance phénoménale. Dans Silence on développe, le fragment où l’énigmatique griot Sinikadian (« demain est loin ») conte le récit de la venue au monde des N’da en témoigne. Dans une atmosphère des plus fantastiques, un soleil métamorphosé en buffle séduisit leur mère Ebah Ya et en fit son amante. De leur amour naquirent les jumeaux N’da Bettié Sounan (« écoute l’homme ») et N’da Walé Fanga (« force et argent ») et ce après vingt et un mois de grossesse. La suite fut tout aussi remarquable. Le griot-conteur affirme « que leur naissanceut aussi exceptionnelle que leur conception.» (J. M. Adiaffi, 1992, p.74). En effet, partie en forêt pour les travaux champêtres, Ebah Ya se retrouva dans un décor fabuleux : un champ d’une beauté indescriptible. Elle y accoucha, « Aussitôt des quatre points cardinaux du champ, le ciel se mit à sonner comme vingt et une cloches folles. Une pluie qui tombait folle […] ououooo… OUOUOOOO… Mais ce n’est pas vrai. NGONI, SANZA, ARC MUSICAL, KOKWA. » (J. M. Adiaffi, 1992, p.74). Les éléments cosmiques comme la pluie, le ciel, l’espace du champ et les instruments africains de musique « ngoni, sanza » contribuent à souligner l’étrangeté de cette nativité. Les instruments de musique évoqués ici ne sont pas des objets profanes. Par exemple, le kokwa[4] est la cloche sacrée, servant à appeler les fidèles aux cérémonies religieuses de l’animisme. Survient ensuite une muse ; elle vient offrir à chaque bébé un étrange cadeau : « L’étrange femme aux tresses de treize serpents détacha la vipère qu’elle offrit à N’DA FANGAN WALE, puis (…) elle cisela pour N’DA BETTIE SOUNAN une couronne. (J. M. Adiaffi, 1992, p.74). Au vu de la suite du récit, on peut affirmer sans ambages que chaque cadeau reçu (serpent ou couronne en or) répond certainement à la symbolique de la destinée. À une naissance extraordinaire succède donc une vie hors du commun. Le décor mythique est ainsi planté. La seconde paire des N’da dans le troisième ouvrage d’Adiaffi, Les naufragés de l’intelligence, sont d’ascendants humains. Ce sont N’da Kpa (« le bien ») et N’da Tê (« le mal »). Leur mère nommée Mo Ehian (« mère souffrance ») et le père est un aventurier inconnu. Le narrateur ne cite pas Ebah Ya (la mère des jumeaux dans Silence on développe) mais les deux noms (Mo Ehian et Ebah Ya) traduits en agni, ramènent au même concept : la mère miséreuse ou la souffrance de la maternité. Dans l’imaginaire akan, les jumeaux gardent leur caractère rarissime et atypique même quand ils sont d’ascendants humains. Leur essence provient donc de la gémellité elle-même sacrée. Dans La Carte d’identité, par exemple, Mélédouman (le futur arrière-grand-père) tient sa singularité de son rang de prince héritier du trône. À ce titre, il est investi du sceau du sacré. Sommé de présenter sa carte d’identité, voici comment Mélédouman décline son appartenance : « Ce sont mes ancêtres qui sont fondateurs de ce royaume. Tout ici constitue ma preuve et ma carte d’identité. Puisque tout ici m’appartient et atteste ce que je suis, qui je suis. Le ciel et la terre […] (J. M. Adiaffi, 1982, p. 28-29). C’est en vertu donc de ce caractère hautement spirituel qu’il est présent dans « le sanctuaire de la maison sacrée du trône » (J. M. Adiaffi, 1982, p. 138) lors des célébrations rituelles du vendredi sacré. C’est l’occasion pour lui de répéter un rite millénaire, l’adoration des trônes sacrés qui n’est autre qu’une offrande à l’esprit des mânes protecteurs. Il symbolise ainsi le pouvoir traditionnel Akan. L’homme est très instruit (l’unique indigène du royaume à avoir étudié à la Sorbonne en France), et « À Béttié, tout le monde loue la discrétion, le calme (…) un courage reconnu par tous ». (J. M. Adiaffi, 1982, p. 23). Quant à Ebah Ya, elle dispose d’autant de qualités que son auguste grand-père. Dans un article récent (S. Cissoko, 2016, pp. 43-54), nous avons démontré les similitudes entre cette courageuse fillette et la mythique Antigone. En somme l’un des premiers éléments explicites du mythe des jumeaux, est le caractère fabuleux de leur naissance et /ou de leurs ascendants
- Les jumeaux, des personnages fondateurs
Parlant de la place de ce type de procréation dans l’imaginaire africain et principalement akan, l’anthropologue N. A. N’doumy (2013, p. 59) affirme que :
Les jumeaux sont considérés comme des êtres exceptionnels, dotés d’un pouvoir occulte. Ils sont reconnus sous l’appellation de « n’da » chez les Agni et Baoulé. A partir de ce statut particulier, les jumeaux sont l’objet d’une série de rituels avec des dons faits en chiffre paire. Une autre cérémonie est organisée à la naissance qui survient après celle des jumeaux. Ce dernier est aussi considéré comme doué d’un pouvoir mystique, il a droit à des rituels appropriés.
Le narrateur extra-diégétique confirme aux lecteurs cet aspect des jumeaux : « N’da, « jumeau » en agni, est le nom porté par les jumeaux, un nom distinctif, un nom qui s’enracine dans toute la mythologie » (J. M. Adiaffi, 1992, p. 24). Les confidences de N’da Fangan, devenu empereur démontrent aussi cette prédisposition : « Je suis doué de la puissance surnaturelle des Génies. Je suis de la dernière race des Génies, des Titans, des Dieux antiques perdus dans le siècle de tarés. » (J. M. Adiaffi, 1992, p. 309).
Une fois de plus, c’est le caractère hors norme des jumeaux qui est mis en exergue. L’aura des jumeaux est telle qu’elle se répercute sur l’enfant née après eux. C’est ainsi que, Tahua la petite sœur des N’da (Sounan et Fangan) fait office d’autorité : « Tahua bénéficie d’un double prestige : d’abord celui de militante historique … ensuite du fait, […] d’être la petite sœur de l’Empereur – Prophète – animiste, la Tahua douée de pouvoirs surnaturels comme les jumeaux qui la précèdent. (J. M. Adiaffi, 1992, p. 309). Tahua jouit donc de l’aura mystique de ses illustres aînés. Fort de ce caractère sacré, les jumeaux sont sujets à des rites. S’y référant, J. J. Wunenburger (2009, p. 22) soutient que : « le sacré engendre des récits qui sont eux-mêmes théâtralisés et répétés. Mouvements et attitudes corporelles prêtent leur dynamisme et leur plasticité à l’expression liturgique du sacré.» L’histoire des jumeaux sert de prétexte à Adiaffi pour faire connaître les « myriades de rites » (J. M. Adiaffi, 1992, p. 149) de ces deux êtres doubles et uniques dont celui de « L’arrosage de leur arbre rituel, N’DA BAKA, le corps des jumeaux […] la danse des jumelles à la calebasse. » Pour célébrer ce don fabuleux des Dieux mais aussi : « les mêmes pantalons, les mêmes chemises, les mêmes perles blanches rituelles au cou, aux pieds…» (J. M. Adiaffi, 1992, p. 172). Ce scénario du rite de l’identité vestimentaire répond à une symbolique : conjurer le sort ; en somme tout est fait, « pour fondre les jumeaux en un seul homme, pour exorciser quelque peu l’autre aspect : la terreur que leur monstruosité inspire à la société » (J. M. Adiaffi, 1992, p. 172). Bref, Les jumeaux sont des êtres exceptionnels à respecter et à honorer. Ils se singularisent aussi par leurs exploits héroïques, leur capacité à être des figures emblématiques. Ils sont souvent à l’origine de mythe fondateur ; pour E. Mircea (1963, p. 30), tout mythe serait, en tant que récit d’une création, mythe fondateur puisqu’il raconte « comment un comportement, une institution, une manière de travailler ont été fondés »; il donne un sens aux actions humaines et, par sa dimension ritualisée, à toute action collective au sein d’une société. Ce mythe contribue également à distinguer du commun des mortels des êtres promis à un grand avenir : ancêtre d’une nation, guide d’un peuple, fondateur de cité ou promoteur d’une technique bénéfique. Nous considérons comme «mythe fondateur» au sein d’un groupe toute référence forte à un événement en lien avec la genèse du groupe ou à une personnalité emblématique passée ayant pris une part importante dans la formation ou la direction de ce groupe. Selon R. Girardet (1986, p. 77), il y a le mythe du père fondateur. Correspondant à l’archétype de Solon, le législateur, ce mythe est le récit de la fondation d’un ordre nouveau par un Homme Providentiel qui « refonde » la société en élaborant un nouveau système politique. Pour lui, on retrouve par exemple cet archétype en :
De Gaulle de 1958, posant les principes et les règles d’une République nouvelle. Ces mythes politiques sont extrêmement présents dans nos sociétés. Les plus célèbres dans ce cas, sont Romulus et Remus les fondateurs de Rome. Mais le mythe fondateur peut aussi apparaître dans le mythe du prophète, dont l’archétype est Moïse. Le prophète « guide son peuple sur les chemins de l’avenir ». (R. Girardet, 1986, p. 79)
Les deux paires de N’DA d’Adiaffi remplissent cette condition, ce sont des héros fondateurs. La première paire (J. M. Adiaffi, 1992) tient les rênes de l’avenir politique du brave peuple d’Assilliédougou. N’da Fangan, le mauvais jumeau crée l’Assilliédougou néo-colonialiste. Après 14 ans de lutte fratricide, son frère, le bon jumeau instaurera un nouvel état : l’Assilliédougou de la deuxième ère, un pays libre et démocrate. Pour ce qui concerne la seconde paire (J. M. Adiaffi, 2000), N’da Tê est l’édificateur de la cité de la luxure, Sathanass city, et le retentissement de ce quartier est tel que c’est tout le pays Mambo qui devient le « théâtre national de l’horreur » (J. M. Adiaffi, 2000, p. 125). À son antipode, son frère N’da Kpa, l’assistant et le scribe de la célèbre Prophétesse Akoua Mando Sounan. Ensemble, avec l’aide de Gnamien Kpli l’unique créateur du ciel et de la terre, ils fondent Tanguelan, la cité panafricaine de l’espérance. Le dernier caractère commun aux jumeaux, c’est leur antagonisme.
- Le symbole de l’antagonisme entre le bien et le mal.
De nombreux récits cosmogoniques font état de héros créateurs jumeaux, aux fonctions antagonistes. L’un est bon et l’autre mauvais, ce dernier cherchant perpétuellement à entraver l’action créatrice et civilisatrice du premier ou bien il l’imite avec maladresse, créant les animaux nuisibles comme le premier crée les animaux utiles. Cette mythologie manichéenne est particulièrement remarquable chez les Africains. Le principe selon quoi « Tout est jumeau […], mauvais jumeau le symbole du mal est le jumeau de l’incarnation du Bien » (J. M. Adiaffi, 2000, p. 11). Comme nous l’avons précédemment démontré les N’da d’Assiliédougou se distinguent par leur antinomie que le narrateur exprime poétiquement par :
Chaque homme a sa face cachée comme le soleil et la nuit. Chaque peuple aussi ! « Le bon et le méchant », « le diable et le bon dieu », N’DA FANGAN WALE et N’DA SOUNAN BETTIE (…) N’da le lâche, N’da le courageux ; N’da le corrompu et le corrupteur, N’da l’intègre … (J. M. Adiaffi, 1992, p. 73).
Et c’est l’adversité entre ces jumeaux qui est à l’origine de l’Assilliédougou à double face, l’une néocolonialiste et l’autre indépendante. Les N’da de Mambo sans être identiques physiquement (le narrateur n’y fait pas référence) sont dissemblables moralement : N’da le chef de gang « justiciers de l’enfer » et N’da le scribe, l’assistant de la prophétesse Akoua Mando. En pleine séance d’initiation, la future Prophétesse s’interroge : « Le bien et le mal seraient donc des jumeaux co-naissants, des jumeaux inséparables ?» (J. M. Adiaffi, 2000, p. 119). Avec les enseignements reçus par son formateur Gnamien Ewo (« le serpent de Gnamien »), elle tire les leçons suivantes : « au sein de tout bien persisterait le principe (…) Tous les projets grandioses du Dieu du Bien, du Dieu Amour seraient infectés dès leur conception par le principe du mal. », « Ces deux principes coexistent en chacun de nous […]. Il est aux aguets au cœur même de chaque homme, de chaque femme, de chaque enfant et de chaque animal. (J. M. Adiaffi, 2000, p. 120). Le bien et le mal sont des principes universels innés à l’humanité. La pensée africaine affirme le succès continuel du bien sur le mal. D’ailleurs l’observation des rites concernant les jumeaux obéit à une certaine fonction dont la conjuration du sort, rendre le bien victorieux sur le mal. Et c’est ce que le narrateur extra-diégétique confirme en ces termes : « les jumeaux constituent l’unité fondamentale du bien et du mal. Mais le bien est toujours vainqueur, une fois le mal exorcisé » (J. M. Adiaffi, 1992, p. 149). Ainsi se conçoit la symbolique akan sur les deux principes universels que sont le bien et le mal. Voici pour ce qui est des invariants du mythe de la gémellité. À cette forme canonique du mythe de la gémellité, Adiaffi, en écrivain engagé, greffe toute une myriade de thèmes, par le jeu de la charge mythique créatrice.
- FLEXIBILITE : L’ADAPTABILITE DU MYTHE DE LA GEMELLITE OU LES TRANSFORMATIONS OPEREES PAR ADIAFFI
Selon M. Degand (2010, p. 6), le mythe existe rarement au singulier. Il s’inscrit souvent dans la constellation de ses – plus ou moins– nombreuses variantes. L’on dirait même qu’il tient son prestige de sa capacité à répondre aux questions de type existentiel face auxquelles les approches rationalistes présentent des limites ; c’est un modèle qui inspire. F. Monneyron et J. Thomas (2012, p. 128) soutiennent, l’idée que « la littérature retrouve le mythe, à travers la ‘’magie’’ du processus de l’écriture, comme microcosme reproduisant le macrocosme de la création ». Une telle assertion montre que la littérature – le roman en particulier – part à la rencontre du mythe dans le processus de sa création. A titre d’exemple, J. F. R. Gnayoro (2015, p. 78) dans un article révèle l’interprétation mythique de Michel Tournier sur la gemellité. Ainsi :
Pour le narrateur-enfant, la gémellité est l’état originel dans lequel se trouve tout homme, avant sa naissance. Mais, s’il advient que l’habitude ne donne à voir la naissance que d’un seul être, c’est seulement parce qu’un, parmi les deux, a étranglé, puis dévoré par son frère dans le sein maternel par pure égoïsme, afin d’éviter d’avoir un rival potentiel. La naissance de l’enfant unique est donc marquée du sceau d’un fratricide immonde qui également souille son âme. (…) Il n’y a que les jumeaux qui soient exemples de ces crimes commis par l’humanité, car leur naissance, à la différence des autres, s’est faite dans une entente et une fraternité parfaites.
Plus loin, le narrateur ajoute que :
Des jumeaux vrais ne sont qu’un seul être dont la monstruosité est d’occuper deux places différentes dans l’espace. Mais l’espace qui les sépare est d’une nature particulière (…) Cet espace intergémellaire – l’âme déployée – est capable de toutes les extensions » (J. F. R. Gnayoro, 2015, p. 76)
Ici, c’est le tour d’Adiaffi d’en relater sa version singulière.
- Les entités de l’univers religieux akan
À l’univers mythique des jumeaux, Adiaffi greffe le riche patrimoine ethno-religieux akan. Celui-ci se met en place à partir de la convocation en l’occurrence de trois éléments de la chaîne transcendantale. Il y a d’abord l’esprit suprême, le Dieu incréé, Gnamien kpli, « le Dieu unique tout puissant, Gnamien, Lago, unique créateur du ciel et de la terre » (J. M. Adiaffi, 2000, p. 109). Le philosophe Boa Thiemelé précise que : « Dans la pensée akan, il n’y a qu’un seul Dieu, Gnamien kpli. » (T. R. Boa, 2010, p. 52) Ensuite surviennent les Bossons et les Komians. Les Bossons sont : « les gouverneurs de la terre, les gestionnaires invisibles de la terre, génies intermédiaires entre Dieu et les hommes, porte-cannes de Gnamien-Dieu sur terre » (J. M. Adiaffi, 2000, p. 213). Il existe un bosson pour chaque chose et chaque être vivant d’où les « Génies des eaux, les Génies du ciel, les Génies de la terre etc. » (J. M. Adiaffi, 1992, p. 286), « Le bosson argent » (J. M. Adiaffi, 2000, p. 30). Les mauvais N’da (N’da Fangan et N’da Tê) sont d’ailleurs habités par « des Bossons, des génies du mal.» (J. M. Adiaffi, 2000, p. 156). B. K. P. Diandué a noté que :
Le Komien est une notion akan désignant ce que l’on appelait dans l’Égypte ancienne les Oracles. Komien est un lexème akan signifiant prêtre ou prêtresse de divination. Le komien a par exemple constitué la base de la philosophie « bossonniste » de Jean-Marie Adiaffi (…). Il est le lien entre la société des vivants et celle des morts. (Diandué, 2013, p. 60)
Dans les différents récits, les komians Priko Néhanda « L’initiée qui initie le peuple, le Grand Maitre de N’da Béttié » (J. M. Adiaffi, 1992, p.443) ; Aurore Kaolin « la komian, la fille à « mille yeux » ((J. M. Adiaffi, 1992, p.462) ; Ablé « la fille enfantée par les Dieux » (J. M. Adiaffi, 1982, p.162) et la Prophétesse Akoua Mando Sounan luttent aux côtés des héros salvateurs. En démontre la parabole, la révélation divine faite à la Prophétesse Akoua Mando Sounan par l’envoyée de Gnamien Kpli: « Debout ! Djassou ! […].Un peuple a besoin de saints, d’hommes de sciences et de visionnaires. Il a besoin pour vivre d’un souffle spirituel. Debout, tu as été conçue […] pour reconstruire l’homme en ruine … (J. M. Adiaffi, 2000, p. 156). Et enfin les héros à caractère de démiurge comme Nanan Mélédouman, le prince héritier de Bettié et les sacrés N’da. Le monde divin akan présente un riche panthéon qui sert ici à maintenir le décor mythique. Dans cet univers religieux, l’espace et le temps romanesques y ont une double dimension : réelle et irréelle. Dans les romans de Jean-Marie Adiaffi, les récits étant des quêtes, les héros voyagent donc inlassablement. Que ce soit avec les N’da, la prophétesse Akoua Mando Sounan, Guégon, Ehua kaolin, Tahua ou Mélédouman etc., l’action s’est toujours déroulée dans un espace multiforme. Le récit de Silence on développe s’ouvre sur le matin de l’indépendance ; N’da Sounan, le héros libérateur et ses proches éprouvent l’étrange besoin de se déplacer sans cesse. De Talouakro, le village natal des jumeaux N’da, N’da Sounan fait incursion dans deux espaces fantastiques : l’un où il assiste à l’accouplement du ciel et de la terre et l’autre où il découvre l’espace sous-marin de la pieuvre (J. M. Adiaffi, 1992, p. 40). Plus tard, ce sera au tour d’Ehua Assé d’entreprendre un voyage initiatique vers Bokabo (J. M. Adiaffi, 1992, p. 124). Quant à Mélédouman, parcourant Bettié à la quête de son identité, il intègre un monde étrange (J. M. Adiaffi, 1982, p. 40) à son insu. Il visite le sanctuaire « de la maison sacré du trône » (J. M. Adiaffi, 1982, p. 186), le jour de la célébration d’Anan Ya (« le vendredi saint »). De même, c’est la montagne « Effilé Nin N’djin Boka (la montagne de la sueur et du sel) » (J. M. Adiaffi, 2000, p. 108) qui servira d’espace d’initiation d’Akoua Mando Sounan. L’on note la présence des « souterrains secrets de Sathanasse City » (J. M. Adiaffi, 2000, p. 147), espaces privilégiés des sorcières Diane Luciferia et Mampiobo, du lieu-dit baptisé « Ehomin Atin » la route des revenants (J. M. Adiaffi, 2000, p. 183), et des espaces intermédiaires : « Le célèbre pays des morts et des agonisants « Ebrô.» (J. M. Adiaffi, 2000, p. 182). Ces déplacements revêtent incontestablement une dimension initiatique. Ils transforment les héros en leur conférant la compétence nécessaire à la satisfaction du manque initial. Ces excursions font également appel au temps hors temps dont celui des récits immémoriaux. Nous en avons pour exemple le mythe cosmogonique akan qui soutient qu’il « existait, avant l’arrivée des habitants actuels du pays, des géants monstrueux, poilus comme l’araignée et d’un sadisme de vampire ». (J. M. Adiaffi, 1982, p. 11). Et Mélédouman, pour reconquérir son identité, peut ainsi réactualiser le passé mythique de son peuple car « seule l’histoire identifie réellement » (J. M. Adiaffi, 1982, p. 29). Parallèlement, les autres mythes du roman tel celui de Kaydara (J. M. Adiaffi, 1982, p. 30), des mythes étiologiques de l’origine du mal (J. M. Adiaffi, 1992, p. 51), du passage de la vie à la mort (J. M. Adiaffi, 2000, p. 486), intègrent un « temps hors temps », indéterminé et imprécis au récit normal. Dans Les Naufragés de l’Intelligence, c’est à travers trois mythes de création que le narrateur recourt au temps immémorial du mythe. Il s’agit de la parabole de la création énoncée par Gnamien Ewo (J. M. Adiaffi, 2000, pp. 18-19), du mythe biblique de l’ascension au paradis et de la chute en enfer (J. M. Adiaffi, 2000, pp. 102-111), du mythe agni du pays des morts (J. M. Adiaffi, 2000, p. 254). Cette narration rompt avec la linéarité du temps historique pour s’installer dans une sorte d’a-temporalité. Toutefois, dans ces deux derniers romans, la dimension panchronique qui caractérise le temps mythique n’apparait que dans les récits mythiques ainsi que dans les autres genres oraux (légende, conte, récit poétique) emboités dans le récit principal. L’habituelle histoire des jumeaux est ici tropicalisée ou disons agnitisée[5] avec les terribles N’da. Ce choix thématique n’est certainement pas fortuit car en écrivain engagé, les écrits d’Adiaffi ont toujours un effet de sens.
- Irradiation (effets de sens)
Dès l’entame de notre travail, nous avons souligné la réécriture du thème de la gémellité dans les œuvres du corpus. On le perçoit bien, la réécriture ici n’est pas intertextuelle[6] mais intratextuelle. Selon A. C. Gignoux, (2003, p. 15), la récriture intratextuelle « consiste à se citer soi-même, à l’intérieur de ce bloc unitaire insécable que forme le livre ». En d’autres termes, l’auteur répète la notion de double dans les trois récits. Mais au-delà de cette redondance, c’est toute la trame chronologique d’un continent qui se donne à lire.
En effet, historiquement parlant, la trame du récit de La Carte d’identité correspond à la période de la pénétration coloniale en Afrique, principalement dans le paisible royaume de Bettié. Cette intrusion brutale et étrangère sème les germes de la perte d’identité africaine. Désormais l’indigène est un jumeau, ayant une double face : sa tradition, d’une part, et les valeurs étrangères occidentales, d’autre part. La première citée est vilipendée (J. M. Adiaffi, 2000, pp. 85-100) voir interdite au profit de la seconde. L’hybridité du colonisé est ainsi établie. Par la suite, la lutte pour une décolonisation totale est menée dans Silence on développe. Mais celle-ci est vite dévoyée avec l’accession au pouvoir du néocolonialiste N’da Fangan, le mauvais jumeau. Au final, l’époque contemporaine évoquée dans Les Naufragés de l’intelligence consacre le naufrage de l’intelligentsia africaine. Elle confirme une Afrique crétinisée, déboussolée et sans identité réelle. Parallèlement les trois récits consacrent l’opposition entre le bien et le mal. Adiaffi en bon pourfendeur de la colonisation, par le jeu de la création romanesque, associe le bien aux personnages en phase avec les valeurs religieuses africaines (les bons jumeaux), tandis que le mal est associé aux personnages prônant la suprématie de l’Occident sur l’Afrique (les mauvais jumeaux). Les premiers cités n’ont-ils pas pour adjuvants des komians et des prophétesses de Gnamien kpli ? Et les mauvais jumeaux ne sont-ils pas des obsédés sexuels ayant la boulimie du pouvoir ? Pour son retour, le bon jumeau N’da Sounan « le baobab sacré (…) jaillit, entouré par Priko-Néhanda et Ehua Aurore : chacune lui tenait un bras. Ce qui donnait l’impression d’un aigle qui ouvre ses grandes ailes pour un vol astral ». (J. M. Adiaffi, 2000, p. 503). De même, l’espace panafricain par excellence, lieu de conscientisation et d’édification de l’esprit, Gnamiensounankro (J. M. Adiaffi, 2000, p. 200) est aux pieds des montagnes chez la prophétesse Akoua Mando sounan. Dans cette succession d’images, on y voit le schème de l’élévation et de l’ascension. Selon Desoille cité par G. Durand (1999, p. 148) : « L’image d’envol est inductrice à la fois d’une vertu morale et d’une élévation spirituelle ». Et G. Durand (1999, p. 144) de conclure que : « L’outil ascensionnel par excellence, c’est bien l’aile… ». La cité de la prophétesse est un temple du savoir, de l’équité et de la prospérité par le travail communautaire. En outre, les doubles altruistes sont les fondateurs de l’Afrique libre, démocratique et panafricaine en adéquation avec la spiritualité animiste. Contrairement aux prophétesses qui vivent en élévation, les adjuvants du mal préfèrent les souterrains secrets (J. M. Adiaffi, 2000, p. 147) et pactiser avec le démon. Devenant ainsi les fondateurs de l’Afrique néocolonialiste, despotique et acculturée. Bref, l’image des doubles, de la dialectique du bien et du mal, symbolise l’Africain moderne. Celui en qui vivent le bien (les valeurs universelles prônées par le Bossonisme) et le mal (l’Occident et ses instruments d’impérialisme et de domination). Et la constante victoire du bien sur le mal est synonyme de la prééminence des valeurs africaines sur celle de l’Occident. La mort de l’aumônier au ridicule nom de l’abbé yako Joseph (mes condoléances), (J. M. Adiaffi, 2000, p. 23), le représentant de l’Église est la preuve de cet échec. Le retour au Bossonisme, à notre identité animiste est la solution pour une Afrique libre et développée à l’image de Gnamiensounankro ou d’Assilliédougou de la Deuxième République. La revalorisation de la spiritualité africaine et le retour aux sources comme solution aux maux africains est aussi recommandé par T. Koffi, (2011, p. 94) car : « Les Noirs sont les seuls à n’avoir de spiritualité que celle des peuples qui les ont conquis, soumis et maltraités ! C’est peut-être (et même certainement) là, la cause fondamentale de notre retard. » En d’autres termes, la gémellité adiaffienne se donne à lire comme un donsomana[7], dans le sens où c’est un récit didactique d’une charge sémantique expressive.
CONCLUSION
Le mythe est le récit fondateur de l’histoire des hommes. Il est l’expression d’un peuple à une époque donnée. Celui évoqué dans ce corpus, consiste à actualiser le mythe de la gémellité et celui collatéral du double. Il traverse les trois œuvres littéraires de Jean-Marie Adiaffi. La présente étude a démontré les similitudes ou étroites relations qui existent entre les jumeaux agni et africains N’da de Jean Marie Adiaffi et les mythes de la gémellité. Les parallélismes entre les éléments confirment les aspects transculturels de ce mythe et partant l’universalité de la culture nègre. Ce thème universel n’est qu’un prétexte pour l’écrivain engagé visant à traduire l’antinomie qui vit en l’Africain moderne. La victoire du bon jumeau et ses avatars sur son pendant diabolique est synonyme du triomphe du retour aux sources. Comme l’affirmait C. Kerbrat-Orecchioni (1977, p. 126) : « Les contenus implicites (ces choses dites à mots couverts) pèsent lourd dans les énoncés… ». En reprenant justement certains thèmes mythologiques, les textes d’Adiaffi deviennent le lieu d’actualisation de certaines préoccupations qui lient la complexité africaine à celle du cosmos. Pour J. Lambert, (2011, pp. 83-98) : « Extrêmement foisonnant et mouvant, et ce par sa nature même, le thème du double amène le chercheur à sans cesse réinterroger ses modèles ». Jean-Marie Adiaffi s’inscrit dans une dynamique où le mythe est mis en valeur avec une grande inventivité artistique, une créativité faisant partie des styles d’écritures innovantes.
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[1] Peuple d’origine de l’auteur Jean-Marie Adiaffi.
[2] Selon Mireille Planche : « C’est en effet la piste de libération « Assanou Atin » ouverte avec La Carte d’Identité qui se poursuit dans Silence, on développe : on y retrouve à la fois les descendants de Mélédouman et d’Abou Abadjinan, les grandes figures mythiques de Gnamien Pli ou Ehobilé Angaman. N’da Bettié Sounan, fils de celle qui, petite fille, avait guidé son grand père aveugle dans sa quête-calvaire (…) », Silence, on développe (1992), Introduction, p. 1.
[3] Ce n’est que récemment que les scientifiques ont découvert les limites de cette vérité. Il existe bel et bien une petite différence.
[4]ADIAFFI, Jean-Marie, Silence, on développe, préface : l’explication des signes et symboles de la photo de couverture.
[5] Le mot est de nous, il souligne l’environnement agni où se vit l’intrigue.
[6] « Citer autrui » ou citer un autre texte.
[7] Ahmadou KOUROUMA, (1998) dans son roman En attendant le vote des bêtes sauvages, définit Le Donsomana comme une geste expiatoire en l’honneur d’un héros chasseur dans la tradition africaine. l’auteur part donc du prétexte d’une simple parole de conversation pour aboutir à un pamphlet, une satire sociale. C’est à cette réalité qu’on pourrait ramener la production romanesque de Jean-Marie ADIAFFI.