Les réseaux sociaux par anticipation ;
Une projection futuriste de mondes virtuels en science-fiction
KOUADIO Brou Digry Gnamien Rosine
Université Félix Houphouët-Boigny, Cocody
Résumé :
Bien avant l’avènement et l’émergence des réseaux sociaux en ligne, W. Gibson, précurseur du courant cyberpunk[1], avait conçu le réseau social comme un espace virtuel permettant l’interconnexion de milliers de personnes. Dans la même veine que Neuromancien[2], REZO[3] propose le réseau social comme un monde parallèle au monde réel. A la lumière de la théorie des mondes possibles, cette communication s’intéresse à la construction, par anticipation, de cet univers autrefois imaginaire. Dans une perspective comparative, la contribution analyse également le rapport entre le réseau social fictionnel et la réalité actuelle à travers Réseau(x) [4]de V. Villemont, publié en 2013.
Mots-clés : réseaux sociaux, anticipation, mondes possibles, mondes virtuels
Abstract:
Before the advent and emergence of the social network, W. Gibson, precursor of cyberpunk, had conceived it as a virtual space allowing interconnectivity between thousands persons in his novel Neuromancer. In the same vein, REZO presents the social network as a world in parallel to the real world. At the light of the theory of possible worlds, this communication is interessed in the building, by anticipation, of that imaginary univers. In a comparative perspective, this contribution analyses the relation between the fictional social network and actual reality throught Réseau(x), published in 2013.
Key words: social networks, anticipation, possible worlds, virtual worlds
INTRODUCTION
Héraut des progrès scientifiques et des inventions technologiques, la science-fiction a, très tôt, intégré l’informatique et ses dérivés dans ses productions. En 1984, soit 32 ans en arrière, paraît Neuromancien de W. Gibson qui popularise « le Cyberspace », ancêtre des réseaux sociaux. Marchant sur les brisées de ce dernier, L. Genefort publie REZO en 1993. Ces deux romans proposent des projections futuristes de la réalité actuelle que sont les réseaux sociaux. A ce propos, T. Michaud (2008, p.397) relève que :
la science-fiction a anticipé la plupart des grandes mutations technologiques relatives aux télécommunications, sous la forme d’images ou de métaphores. La mythologie cyberspatiale de Gibson[5] s’inscrit dans un mouvement culturel contribuant à la popularisation de l’idée de société de l’information
Comme l’explique ici T. Michaud (2008), la science-fiction a imaginé, à l’avance, les technologies, les télécommunications et les médias que l’on utilise aujourd’hui. Alors qu’elle se défend d’être « prophétique », la science-fiction a souvent mis en récit des inventions extraordinaires qui ont finalement vu le jour.
Mais, dans un récit donné, le narrateur ne se contente pas de mettre uniquement en scène une machine, un appareil ou un objet inédit. Il projette, avant tout, l’impact probable des nouvelles technologies ou d’un évènement (catastrophe, guerre, système politique, etc.) sur les groupes sociaux. C’est l’exemple, parmi tant d’autres, des œuvres[6] d’A. Robida dans lesquelles il expose, depuis le XVIIIème siècle, les grands changements du XXème siècle. Aujourd’hui, force est de constater que plusieurs de ses prédictions se sont avérées justes.
La science-fiction apparaît, dès lors, comme un genre spéculatif qui projette ou imagine des mondes sur des bases logiques et rationnelles. Cette assertion se profile dans les propos de C. Polère (2016) lorsqu’il dit que la science-fiction « est un genre incroyablement prolixe, qui a pour caractéristique fondamentale d’imaginer de nombreuses ramifications envisageables au futur.». Ainsi, de même que dans les laboratoires scientifiques, le récit de science-fiction est le lieu d’invention et de réinvention du monde de demain.
Cependant, ces mondes anticipés étant, par principe, non encore advenus, ils n’ont logiquement pas de référent. En effet, dans les romans de science-fiction, il n’est pas rare de découvrir des univers radicalement différents du monde réel, sous tous les angles. Selon D. Mellier (2013), le récit de science-fiction se déroule « dans un univers qui est sa propre référence, développant sa propre cohérence géographique, généalogique, systémique, radicalement économe de toutes traces de références historiques, géographiques et culturelles au monde actuel du lecteur ».
Il ressort ici que la science-fiction met en scène des univers inédits, non encore concrets et diamétralement opposés aux univers contemporains. Pour sûr, au moment où l’œuvre est publiée, le monde projeté n’est pas encore réel ; il relève de l’imaginaire plausible. Il en est ainsi de Neuromancien et de REZO, publiés à une époque où les réseaux sociaux n’existaient pas et où l’informatique était encore à ses balbutiements.
Les questions que l’on se pose dès lors sont de savoir comment le narrateur construit le réseau social, par anticipation, et sans référent dans le monde réel ? Comment, 30 ans en arrière, la science-fiction concevait l’univers virtuel ? Quels sont les rapports entre les deux mondes possibles en présence dans le récit, à savoir le monde « réel » et le monde virtuel ?
Toutefois, avec l’avènement et la popularisation des réseaux sociaux, les données vont changer. Désormais, ce qui ne relevait que de « la pure science-fiction » ou encore de l’imaginaire, est, désormais, partie intégrante de la réalité concrète. Comparativement à un parcours narratif sur l’axe syntagmatique, le réseau social est passé du fictionnel à la réalité. Désormais, cet « imaginé » est actualisé. Il importe donc d’analyser le rapport entre la réalité des réseaux sociaux et leurs ancêtres fictionnels. L’on s’interroge donc sur les similitudes et les dissemblances entre la réalité et le fictionnel, sur le degré de concordance entre l’univers virtuel imaginé et les réseaux sociaux actuels ?
Cependant, les spéculations et les extrapolations sur les réseaux sociaux se poursuivant dans les productions SF, une réflexion sur leur influence dans la création romanesque science-fictionnelle s’impose. Réseau(x) de V. Villemont, publié en pleine ère des réseaux sociaux, se prête bien à cette analyse. Ce roman, en effet, porte ostensiblement les stigmates de l’esthétique des réseaux sociaux.
Le déroulé de l’introduction laisse entrevoir un développement en trois points. Le travail s’ouvre premièrement sur les techniques de construction de l’espace virtuel imaginaire et anticipé. En second lieu, on s’intéresse à la mise en parallèle des deux univers fictionnels et enfin, l’étude s’achève sur l’actualisation de la fiction et son influence sur la création romanesque dans une œuvre de science-fiction.
- La projection futuriste des réseaux sociaux, une création d’un monde virtuel
En 1984, lorsque paraît Neuromancien, les réseaux sociaux ne sont pas encore vulgarisés et encore moins pratiqués par le grand public. W. Gibson anticipe donc à partir des timides commencements de l’informatique et offre à ses lecteurs un univers inédit et original dans lequel évoluent ses personnages. Le romancier a donc édifié un univers virtuel ayant un fonctionnement inédit totalement différent du monde connu. Toutefois, quoi que relevant du cadre fictionnel, cet univers existe.
En effet, si on s’en tient à la théorie des mondes possibles, W. Gibson et, à sa suite, L. Genefort, dans le cadre d’un récit romanesque, ont créé des mondes propres qui existent quelque part.
Après un bref rappel des grandes idées de la théorie des mondes possibles, l’on analysera les matériaux de la création du monde virtuel anticipé de Neuromancien et REZO.
- Les mondes possibles en fiction
Issue des réflexions de Leibniz, la théorie des mondes possibles, malgré ses diverses fortunes, a eu un écho favorable dans la sémantique de S. A. Kripke. Cette théorie présuppose qu’il existe d’autres mondes que le nôtre. Soutenant cette thèse, D. Lewis, à travers le réalisme modal, avance que les mondes possibles sont tout aussi réels et tangibles que notre monde. Dans ce sens, il explique ce qui suit :
Y a-t-il d’autres mondes ? Je dis qu’il y en a. Je plaide pour la pluralité des mondes, ou réalisme modal… qui soutient que notre monde n’est qu’un monde parmi de nombreux autres. Il y a d’innombrables autres mondes, d’autres choses inclusives. Nous et ce qui nous entoure, même éloignés dans le temps et l’espace, constituent notre monde. […] Les mondes sont isolés : il n’y a ni relations spatiotemporelles entre des choses qui appartiennent à des mondes différents, ni une chose survenant dans un monde qui cause la survenance de quelque chose dans un autre monde.[7] (D. Lewis, 1986, p.2)
Quelle que soit la justesse et la logique des démonstrations des philosophes, la théorie des mondes possibles demeure spéculative, voire hypothétique. Cependant, elle trouve un appui solide dans la fiction littéraire. En effet, pour M-L. Ryan, L. Dolezel et T. Pavel, la littérature ne produit pas de re-présentation vraisemblable du monde réel mais plutôt des mondes possibles vrais dans le cadre d’une œuvre littéraire. Selon M-L. Ryan (2006), le texte littéraire ne se limite pas à la simple création de mondes, il projette des systèmes et même des univers :
On peut considérer la vie intérieure des personnages comme un système de mondes possibles. Il s’ensuit que la narration donc ne projette pas un monde, elle projette un univers dont la structure sémantique peut être représentée comme suit : 1. Au centre de l’univers textuel réside un monde actuel, déterminé par les déclarations du narrateur (dans la mesure où ce narrateur est fiable). 2. Autour de ce monde actuel gravitent les domaines privés des personnages, qui sont comme de petits systèmes solaires composés d’un certain nombre de mondes (…). Ces représentations ne sont pas des mondes mais des univers alternatifs organisés autour de leur propre monde actuel.
Ainsi, la théorie des mondes possibles appliquée aux études littéraires met en lumière le déploiement de l’espace diégétique. En prenant en compte la vie intérieure des personnages, cette théorie ne se limite pas aux lieux évoqués dans un récit. La fiction se présente donc comme une galaxie de mondes infinis, un univers.
Par ailleurs, cette théorie met l’accent, non plus sur l’esthétique de l’écriture, mais plutôt sur l’originalité ou la créativité inhérente à tout texte littéraire. Elle s’intéresse, en effet, à l’ingéniosité dont font montre les auteurs en mettant en scène des univers textuels cohérents. Dans cette optique, M-L. Ryan (2006) affirme que :
La contribution de la théorie des mondes possibles à la théorie littéraire réside dans l’explication des mécanismes cognitifs qui rendent l’univers textuel présent à l’imagination. Notre théorie refuse d’isoler la haute littérature de la culture populaire, ou peut-être qu’elle est incapable de la faire, et elle ne dit pas tout sur l’expérience esthétique, mais en faisant du langage une fenêtre sur un monde, elle révèle un aspect du plaisir du texte rendu trop longtemps invisible par le culte de l’écriture qui ne permet à la littérature de ne parler que d’elle-même.
De même, cette contribution s’immerge dans trois romans de science-fiction pour analyser uniquement les mondes possibles projetés. Et, comme le dit si bien Marie-Laure Ryan, on s’intéresse aux mécanismes cognitifs qui rendent l’univers textuel présent à l’imagination. En effet, s’il est admis que les mondes de la science-fiction sont foncièrement fictifs et qu’ils n’ont pas de correspondance avec le monde réel du lecteur, comment alors le narrateur parvient-il à faire visualiser ce monde inédit au lecteur ? Autrement dit, par quels mécanismes, le lecteur réussit-il à se représenter le monde possible anticipé du roman de science-fiction ?
Ce second point porte sur les techniques de construction de l’espace virtuel des réseaux sociaux anticipés.
- La création de l’univers virtuel, autre monde possible
Les auteurs de science-fiction ont très tôt intégré l’idée de la pluralité des mondes. Déjà avec Cyrano de Bergerac, les astres que sont la lune et le soleil sont présentés comme d’autres mondes habités par d’autres êtres, notamment les Séléniens et les Solariens. Pour D. Ferrer (2016), ces élans imaginatifs sont inspirés du concept de mondes possibles :
La notion de « mondes possibles » si brillamment instaurée par Leibniz a été source d’inspiration pour beaucoup : écrivains de science-fiction, philosophes, logiciens… Intuitivement, cette idée d’une pluralité de possibles représentés par des univers juxtaposés semble particulièrement adaptée aux études génétiques pour autant qu’elle ne soit pas conçue sur un monde statique
Si pendant longtemps les auteurs de science-fiction ont situé l’action sur des planètes étrangères imaginaires ou réelles, la tendance contemporaine privilégie le cadre spatial terrestre. Il est fréquent et plutôt habituel de voir les personnages d’un récit de science-fiction évoluer sur la Terre. Toutefois, ces pays et ces villes étant ceux d’un futur possible et ou plausible, il s’agit là d’une Terre possible, d’autres pays et d’autres villes.
Dans Neuromancien, l’action se déroule, certes, sur la Terre mais les lieux désignés sont non-référentiels. En effet, les toponymes Tchat, Conurb, Lonny Zone (Neuromancien, p.5) ne correspondent pas à des endroits réels. Ils renvoient plutôt à des lieux imaginés. Par conséquent, cette Terre est une Terre alternative, c’est-à-dire une autre Terre, située au même emplacement que notre planète, mais radicalement différente d’elle.
Mais, dans la flopée de lieux possibles et non-référentiels, le cadre spatial qui retient l’attention est le « cyberspace ». D’entrée de jeu, ce lieu inédit est présenté comme un « éclatant treillis de logique qui se dévidait à travers un vide incolore » (Neuromancien ; p.7). Une séquence descriptive plus longue et moins hermétique présente le cyberspace comme :
une hallucination consensuelle vécue quotidiennement en toute légalité par des dizaines de millions d’opérateurs, dans tous les pays, par des gosses auxquels on enseigne les concepts mathématiques… Une représentation graphique de données extraites des mémoires de tous les ordinateurs du système humain. Une complexité impensable. Des traits de lumière disposés dans le non-espace de l’esprit, des amas et des constellations de données » (Neuromancien ; p.64)
Il apparaît ici que le cyberspace est essentiellement composé de données mathématiques, ce qui renvoie au « numérique ». Cet adjectif désigne toute information se présentant sous forme de nombres associés à une indication de la grandeur à laquelle ils s’appliquent, permettant les calculs, les statistiques, la vérification des modèles mathématiques. Jusqu’ici, la représentation spatiale est, pour le moins, difficile car il n’est pas évident de relier des concepts mathématiques et numériques à l’idée d’espace.
Dans REZO, cet univers parallèle au monde réel est décrit comme une « mer quantique des flux de données, entre des artefacts géométriques et des citadelles géodésiques gigantesques » (REZO ; p.20). Ici également, les matériaux de construction du cadre spatial sont de l’ordre de la physique et des mathématiques. Mais, plus loin dans le texte, le réseau est présenté comme :
la somme des systèmes de données, des transits d’informations et de monnaie sous forme électronique. Sa représentation cognitive consensuelle des échanges donnait une forme au pouvoir. Un univers virtuel sur lequel se branchaient deux milliards d’utilisateurs quotidiens, qui avait acquis autant de réalité que celle de la rue. Un nouveau far West. (REZO ; p.57-58)
Dans cette autre séquence descriptive, en plus des données mathématiques, le narrateur ajoute une information capitale : le caractère virtuel de l’espace. Du latin médiéval virtualis, le virtuel renvoie à ce qui est seulement en puissance et sans effet actuel. Il est de fait synonyme d’immatériel, de dématérialisé. Le virtuel, contrairement au réel, n’est pas tangible, palpable. Aujourd’hui, l’adjectif virtuel renvoie à ce qui se passe dans un ordinateur ou sur Internet, c’est-à-dire dans un « monde numérique » par opposition au « monde tangible ». Selon T. Michaud (2008, p.381), le virtuel est :
une illusion produite par des technologies de l’image. Il existe autant de technologies du virtuel que de fictions, qu’elles soient littéraires ou picturales. Les mondes virtuels englobent les esprits et les immergent dans une fiction sublimatoire déconstruisant la réalité naturelle et en reconstruisant une autre, artificielle. La réalité virtuelle est une entité fictionnelle qui s’inscrit dans le réel, sans pour autant y faire référence, visant à proposer à l’acteur une échappatoire dans une dimension cognitive alternative
Ainsi que l’explique T. Michaud, le virtuel se différencie totalement du réel. L’espace virtuel est une « réalité » autre que l’espace réel. L’enjeu de la narration est donc de représenter cet autre monde non-tangible qui est, non seulement, différent mais surtout « totalement » inconnu du lecteur.
Aussi, en plus des notions mathématiques et scientifiques, le narrateur utilise un lexique particulier facilitant le travail de référencement et de représentation, comme on peut le lire dans cet extrait : « Alors elle ferma les yeux, et plongea au sein du REZO. Elle navigua sur la mer quantique des flux de données. » (REZO ; p.20). Dans ce passage, le REZO est comparé à la mer. D’autres expressions relatives au réseau vont renchérir cette idée, à travers le texte : « J’étais pourtant certain d’avoir branché les alarmes avant de m’immerger dans le REZO » (REZO ; p.25) ; « je continuerai à me baigner dans la mer du REZO, et tu n’auras été qu’une ride à la surface » (REZO ; p.97).
Comme il apparaît à travers ces fragments du texte, on « plonge » dans le REZO, on « navigue » sur la mer quantique des flux de données, on « s’immerge » dans le REZO, « on baigne dans la mer du REZO », etc.
Ces verbes escortant le REZO font globalement référence au liquide et au fluide. Ils élaborent une isotopie de « l’étendue d’eau » donnant à voir un espace exclusivement liquide, marquant, pour le coup, une nette différence avec le monde réel qui, lui est solide.
Soulignons ici que le narrateur procède par métaphore ou analogie avec la mer, en particulier, et plus largement avec l’eau. Ce rapport avec un élément commun de l’univers du lecteur vise à faciliter la compréhension de cet espace possible. Ainsi, quoi que ce monde virtuel anticipé soit totalement inconnu du lecteur, il peut se le représenter en établissant une correspondance avec la mer ou une toute autre étendue d’eau.
Ici transparait le caractère pragmatique du procédé narratif utilisé. Pour « faire faire » ou pour amener le lecteur à participer à la construction de l’espace diégétique, le narrateur dissémine les pièces du puzzle à travers le récit. Implicitement, il entraine le lecteur à édifier l’espace virtuel à partir d’un assemblage cognitif.
De fait, ce monde inédit se construit à la fois avec des matériaux nouveaux mais également des termes ou référents communs au lecteur. Par conséquent, le monde possible du roman de science-fiction n’est pas dépourvu de référent dans la mesure où il a quelque similitude avec le monde du lecteur.
Dans Neuromancien et REZO, l’espace virtuel fonctionne parallèlement au monde réel des personnages humains. Il importe de mettre en lumière la structure spatiale globale du récit et d’analyser les relations qu’entretiennent ces deux mondes antithétiques.
- La dualité de l’univers fictionnel : une organisation spatiale entre le manifeste et le virtuel
Très souvent, le monde tangible est approché comme un système de dualité dans lequel chaque réalité a son contraire, chaque chose a son opposé. Si cette perception du monde est controversée, la sémiotique narrative la met en exergue à travers l’organisation romanesque. Dans les romans du corpus, le monde réel où évoluent les personnages s’oppose en tout point au monde du réseau, univers virtuel et immatériel. Le second point de l’étude s’intéresse aux différentes oppositions entre les espaces.
- Le monde réel et le monde virtuel, deux univers opposés
La sémiotique narrative part du postulat que le sens naît de la différence. En effet, la structure de l’espace textuel – tout comme celle de toutes les catégories romanesques – apparaît lorsqu’on établit les oppositions entre les différents lieux.
Pour mettre en exergue la structure spatiale des deux romans étudiés, on va opposer les deux cadres spatiaux en présence, à savoir : le monde virtuel et le monde « réel ».
Dans Neuromancien, la toute première description de l’espace réel est emprunte de morosité : « le ciel au-dessus du port était couleur télé calée sur un émetteur hors service » (Neuromancien ; p.5). Cette impression de lieux glauques, tristes et sales jalonne tout le texte. En effet, plus loin, on lit l’information suivante :
vous ne pouviez même pas voir les lumières de Tokyo, à cause de la lueur du ciel télévision, pas même la monstrueuse enseigne holographique de la Fuji Electric Company ; là où la baie de Tokyo était une étendue noire où les mouettes tournoyaient au-dessus de plaques de polystyrène expansé à la dérive. » (Neuromancien ; p.9).
Dans cette séquence descriptive, on peut lire la « noirceur » et le « désespoir » à travers l’impossibilité de voir la lumière et l’opacité de l’eau de la baie. L’omniprésence de la mort dans le monde réel vient également corroborer l’idée de désespoir. En effet, « la mort était la punition acceptée pour cause de paresse, négligence, manque de grâce, inaptitude à se conformer aux exigences d’un protocole complexe » (Neuromancien ; p.11). Ainsi, dans tous les cas de figure, l’on est exposé à la mort qui rôde. D’ailleurs, dans les hôtels de ce Tokyo alternatif, il est ordinaire de dormir dans des cercueils : « roulé en boule dans sa capsule dans quelque hôtel à cercueils » (Neuromancien ; p.7) ; « Désormais, il dormait dans les cercueils meilleur marché » (Neuromancien ; p.11).
Cependant, à l’opposé de ce monde réel morbide et sombre, il y a l’univers exaltant du cyberspace que le narrateur qualifie d’« exultation désincarnée du cyberspace » (Neuromancien ; p.9). Contrairement à l’espace réel sombre et glauque, le cyberspace est haut en lumière et riche de données : « pénétrer dans les murs brillants des réseaux de grosses sociétés, pour tailler des ouvertures dans de riches champs de données » (Neuromancien ; p.8).
Ainsi, ces deux cadres spatiaux (réels et virtuels) s’opposent en tout point. Il en est de même dans REZO de Laurent Genefort. Contrairement aux espaces réels dévastés par la Grande guerre de la faim et la misère qui sévit dans les rues, le REZO se propose comme le lieu du féérique et de l’émerveillement : « au fond du ciel encombré de nuages, voltigeaient des lucioles lumineuses sur la trame palpitante du REZO » (REZO ; p.140). En outre, le REZO ou cyberspace se situe au-delà du temps. Il offre donc l’éternité, comme l’explique un personnage virtuel :
tu sais que le temps ici se déroule plus rapidement. J’ai déjà vécu plusieurs années de vie subjective. Chaque minute que tu vis à l’échelle de ton existence de condamné à mort n’est pas même une seconde de mon éternité. Quand tes os ne seront plus que poussière, je continuerai à me baigner dans la mer du REZO, et tu n’auras été qu’une ride à la surface » (REZO ; p.97)
De tout ce qui précède, on peut déduire que comparativement à la réalité, le REZO/Réseau/Cyberspace est un véritable paradis où tout est bien meilleur. De fait, il n’est pas étonnant que les personnages se damnent pour vivre l’extase de l’univers virtuel.
- Le corps entre deux mondes : écartèlement et extase
Fascinés par le monde virtuel, les personnages cherchent à l’intégrer pour découvrir les sensations exaltantes qu’il promet. Le problème qui se pose est que le corps, enveloppe charnelle, est foncièrement matériel. T. Michaud (2008, p.382) aborde la question en ces termes :
La localisation et la présence dans les espaces virtuels posent problème. L’individu agit au sein d’un programme et devient une donnée aléatoire impliquée dans la formation d’un scénario aux contours déjà établis. La variable interactive est fondamentale pour comprendre la formation identitaire au sein de ces espaces
Comme l’explique Thomas Michaud, la personne ou plus précisément le personnage qui s’immerge dans le réseau, se déleste de son corps, pour devenir « une donnée aléatoire ». Dans les romans du corpus, les personnages se branchent au réseau, y pénètrent et s’y meuvent. Mais pour rentrer dans le réseau, il faut au préalable se connecter comme on le lit dans cette séquence :
Ann dégrafa les attaches de son blouson et en sortit un boitier de la taille d’un paquet à cigarettes. Ce qui se faisait de plus performant comme terminal portable. Elle déroula un câble optique, souleva son chignon. Dessous, une broche protégée par un couvercle osmotique. Elle retira délicatement le rectangle de plastique, et, sans hésiter, s’enficha. Alors, elle ferma les yeux, et plongea au sein du REZO. (REZO ; p.20)
Pour se connecter, le personnage a nécessairement besoin de certains appareils technologiques à savoir un boitier, un terminal portable et un câble optique. Sans cet attirail technologique, le personnage humain ne peut pas entrer dans cet autre monde.
Mais une fois que la connexion est établie, le personnage peut « s’incarner » dans son avatar, un autre lui-même sublimé qui prend en charge sa vie virtuelle. Cet alter ego est une version améliorée et sublimée de l’être réel. Au sein du réseau, en effet, la jeune Ann « n’était plus la petite fille au visage osseux et aux courbes plates. Elle était bien davantage » (REZO ; p.20). Il en est de même de Case, insignifiant personnage avec sa « haute silhouette aux épaules étroites voûtées » (Neuromancien ; p.8) qui, pourtant était « un cow-boy », un génie de l’informatique qui surfait aisément sur les mers de données et piratait des informations importantes dans le cyberspace.
L’avatar, être numérique ou virtuel, est vécu comme étant supérieur et meilleur à l’être charnel. Dès lors, le corps est dévalorisé, voir déprécié. Il est péjorativement appelé « la viande » : « le corps, c’était la viande. Case était tombé dans la prison de sa propre chair » (Neuromancien ; p.9). Dans REZO également, ce mépris du corps est lisible, comme il apparait dans cette phrase : « le mépris de la viande qu’elle cultivait, à l’instar de la plupart des cracks du REZO » (REZO ; p.10) ; « ses dents originelles, il les avait perdues une à une au cours de fugues trop longues où il avait laissé son corps à l’abandon, sans soins ni nourriture » (REZO ; p.166-167) ; « Elle a passé plus de temps là-haut que dans le monde de la viande, bien qu’elle n’ait jamais été un crack » (REZO ; p.168).
Dans les deux œuvres du corpus, le corps, qualifié péjorativement de « viande » est détestable. Il apparaît comme un fardeau, un obstacle à l’incursion dans le paradis virtuel.
Toutefois, cette transposition dans le monde virtuel n’est pas sans risque. Avant d’effectuer ce voyage « transcendantal », il faut prendre certaines précautions pour sécuriser son corps. Aussi, l’un des personnages a trouvé la mort en exposant son corps : « Clemens est mort il y a trois mois. Il a fait la même connerie que toi ; en partant sans assistance médicale dans le REZO. Un rat lui a rongé la cheville, il s’est vidé de son sang sans se réveiller » (REZO ; p.35). Ainsi, lorsqu’ils se connectent au réseau, leur corps physique, péjorativement appelé végète pendant qu’ils vivent l’extase du virtuel où tout est possible.
En résumé, le réseau social anticipé des deux romans est un espace à part entière où les personnages peuvent se mouvoir au même titre que dans le monde réel. Seulement, toutes leurs actions sont menées par des avatars, des versions numériques d’eux-mêmes mais en « haute définition » ou plus élaborées.
En clair, les mondes virtuels ou réseaux sociaux sont des « Métavers ». Mot forgé par N. Stephenson (1992), auteur de science-fiction, le métavers désigne un monde virtuel créé artificiellement par un programme informatique, hébergeant une communauté d’utilisateurs présents sous forme d’avatars pouvant s’y déplacer, y interagir socialement et parfois économiquement.
A la suite des différentes analyses, il est possible de schématiser l’organisation spatiale. En effet, à partir des oppositions spatiales et de la dualité des personnages, on peut faire la lecture suivante :
- Le monde réel VS le monde virtuel
- Le solide VS le liquide, le fluide
- Le glauque/triste VS le grisant
- Le corps/ la viande VS l’avatar
- La mort VS l’éternité/ l’immortalité
La comparaison des cadres spatiaux des deux romans révèle la même structure binaire et dichotomique. D’un côté, le monde réel triste et délétère, de l’autre côté, le monde virtuel magnifique et exaltant.
Par ailleurs, la réflexion sur les mondes possibles dans ces deux romans montre qu’effectivement les narrateurs construisent et décrivent des univers, certes fictionnels, mais bien réels dans le cadre des œuvres romanesques. En effet, les mondes possibles (réels et virtuels) de Neuromancien et de REZO ont leurs organisations et leurs fonctionnements propres. En somme, ils ont leur « réalité » spécifique.
Mais le plus impressionnant concernant la science-fiction, c’est que parfois, ce qu’elle anticipe et qui semble n’être que de « la pure science-fiction » devient partie intégrante de la réalité. Ainsi en est-il des réseaux sociaux qui ont été vulgarisés, à l’orée de l’année 2004.
Le point suivant s’intéresse à ce transfert du fictionnel au réel ou encore à l’actualisation d’un monde possible.
- Les réseaux sociaux aujourd’hui, du fictionnel à la réalité
Ce dernier point de l’étude cherche à répondre à la question suivante : comment ce qui ne relevait jusque-là que de l’imaginaire pur prend sens aujourd’hui, devenant une réalité concrète ? Cette préoccupation rejoint les hypothèses de P. Pulman (1995, p.456) émises en ces termes :
On peut aller plus loin et s’interroger sur la nature de ce qui, à un moment donné, est envisagé comme une possibilité, en se demandant notamment si une donnée considérée dans sa virtualité peut émerger à une forme de réalité dans la mesure où elle emporte l’adhésion. Cela revient à envisager l’hypothèse qu’il existe, entre l’être et le non-être, des états intermédiaires dont l’existence est avérée par le seul fait que nous puissions les concevoir
Ainsi, à partir du moment où l’on conçoit une chose, elle est potentiellement réalisable. Aussi, dès lors que William Gibson a donné une forme, une matérialité, même fictionnelle au réseau, il était d’emblée réel et possible.
A ce niveau de l’analyse, nous sortons donc du texte pour prendre en compte le hors-texte ou plutôt, considérer le parcours du réseau depuis la fiction jusqu’à la réalité. En postulant que ce passage s’opère par l’impact ou l’influence de l’œuvre sur le monde réel, l’on s’intéresse ici à l’influence de Neuromancien non seulement dans le domaine de la science-fiction mais surtout dans l’avènement des réseaux sociaux en ligne.
- Neuromancien en science-fiction : une influence transversale
S’il est admis que William Gibson n’a pas conçu le concept du cyberpunk, tous les amateurs de science-fiction le reconnaissent, du moins, comme l’un des hérauts du mouvement. Son œuvre a définitivement fait tache d’huile en exprimant le malaise des jeunes devant la surpuissance des multinationales et la montée en force de l’internet.
- Mabuya (2010, p.72) souligne l’impact de Neuromancien lorsqu’il dit : « D’un point de vue strictement littéraire, l’impact du livre de Gibson a été considérable sur la science-fiction mais également sur l’imaginaire social et scientifique en devenant un roman de référence, la bible du cyberpunk. ».
Ainsi, l’influence de son œuvre s’est d’abord manifestée parmi les afficionados de la science-fiction. En effet, le cyberpunk se développe de manière fulgurante après la publication de Neuromancien. En s’inspirant du style de William Gibson et surtout en partant de ses idées fortes, plusieurs auteurs de science-fiction vont écrire des romans cyberpunk. Parmi ces derniers on trouve Walter Jon Williams avec Hardwired[8], roman de bonne facture, ainsi que Laurent Genefort et son REZO qui ne cache pas sa filiation avec Neuromancien. Comme le dit P. Brunel (1996, p.54) : « C’est la valeur de l’auteur influencé qui donne son prix à l’influence autant, sinon plus, que celle de l’émetteur, car c’est l’œuvre produite par l’influence qui prouve la force de l’énergie littéraire ».
Par ailleurs, l’influence de William Gibson ne se limite pas au domaine science-fictionnel. Comme le dit Thomas Michaud, l’œuvre va également impacter la société et toute une génération de jeunes inconditionnels de l’informatique.
L’influence sociale de Neuromancien
Avec ses 6,5 millions d’exemplaires vendus entre 1984 et 2007, Neuromancien connaît un succès fulgurant qui va impacter durablement la société occidentale. Non seulement le cyberpunk devient un phénomène social mais il se constitue en subculture. Par ailleurs, plusieurs termes conçus et forgés par William Gibson dans son roman vont être intégrés dans le lexique informatique. Il s’agit notamment de « Hacker, cyberspace, Tchat, etc. »
En outre, si le réseau social, à ses débuts ne correspondaient pas exactement aux prédictions de William Gibson, force est de reconnaître qu’aujourd’hui, les métavers sont des « réalités virtuelles ». En effet, la société Lindenlab à San Francisco a créé Second Life, un métavers dans lequel on peut créer son propre avatar et interagir avec d’autres personnages virtuels. Second Life compte plus d’un million de participants avec une croissance mensuelle de 36% d’utilisateurs par mois. Google est également en train d’expérimenter la même chose avec Lively.
En réponse à la question qui a valu ce troisième point, nous disons que les rêves éclairés des auteurs de science-fiction passent du fictionnel à la réalité lorsqu’ils rencontrent l’intérêt des ingénieurs et des scientifiques.
Toutefois, cette partie ne saurait s’achever sans aborder la question de l’influence de l’esthétique des réseaux sociaux sur la création romanesque science-fictionnelle.
- De la réalité à la fiction : une influence à rebours
Contrairement à Neuromancien et REZO qui construisaient le réseau ou monde virtuel sans véritable référent, Réseau(x) de Vincent Villemont est de plain-pied dans l’ère des réseaux sociaux. L’auteur se laisse de fait influencer par leur esthétique.
Dès l’entame du récit, le lecteur est surpris par la présentation atypique de la page :
Rêve de Sixie. 09.30 a.m.
Posté par SixieDREAMY sur le DKB/MDP,
Le 30 janvier, 09.30 a.m.
Amourette – meurtre – noyade » (Réseau(x) ; p.9)
L’incipit du roman montre d’emblée un « post », message ou billet posté ou envoyé sur un réseau social tel que Twitter, Facebook, etc. Ces post jalonnent tout le tissu narratif, comme on le note dans les exemples suivants :
Vidéo postée par AnoNYMOUS,
Sur la page DKB de SixieDREAMY,
Le 26 mai, 12.30 a.m. » (Réseau(x) ; p.13)
Posté sur le DKB/MDP/Sommaire des Rêves,
Le 09 mars, 02.25 a.m.
Cauchemar politique – arrestation – explosion » (Réseau(x) ; p.32)
Dans ces post, on observe également que de même que sur les réseaux sociaux, les personnages prennent des pseudonymes. SixieDREAMY est le pseudonyme de Sixtine Van de Vogh, personnage principal du roman.
Par ailleurs, les sigles DKB et MDP désignent des réseaux sociaux en ligne. Il s’agit de DreamKatcherBook et MyDarkPlaces. Certains termes dans la construction de ces désignations renvoient à des réseaux sociaux connus ou réels à savoir Facebook et MyPlace.
Mais, malgré les similitudes onomastiques, le récit n’imite pas ces deux réseaux sociaux populaires ; il en invente de nouveaux. Dans la droite ligne de la science-fiction, il prolonge et extrapole ce qui existe déjà. Ces réseaux sociaux ont des fonctionnements très différents de Facebook et MyPlace. DreamKatcherBook est un réseau social « diurne », ce qui signifie qu’il est ouvert à tous :
Sixtine utilisait la partie diurne de sa page, dont l’accès était ouvert à tous, pour diffuser, outre le contenu de ses journées, des films, des créations, des photos, comme sur Facebook. Sauf qu’on ne peut réserver l’accès de cette page à ses seuls amis. Elle est en consultation libre, sans filtre possible, comme le sont les blogs. Des dayfellows s’inscrivent sur cette page seulement pour signaler qu’ils suivent ce que vous publiez et recevoir vos contributions sur leur mur (Réseau(x) ; p.17)
A travers cet extrait, il ressort que ce réseau social possible s’apparente à Facebook à quelques différences près. Quant à MyDarkPlaces, il est présenté comme la partie « nocturne » de DreamKatcherBook. Il s’agit d’un réseau social plutôt privé :
Sur MyDarkPlaces (ou MDP), les publications étaient strictement réservées aux nightfellows autorisés par l’auteur. Pas de likes, pas de commentaires. Et sur cette session, pas de fil d’actu ou de nouvelles d’autrui, pas de zone de tchat. Juste la possibilité d’envoyer ou de recevoir un message à caractère privé de l’un de ses nightfellows. (Réseau(x) ; p.17-18)
Sur ce réseau social, les personnages publient essentiellement des choses honteuses, mais surtout leurs cauchemars, comme il est expliqué dans ce passage : « Jérémy bascula sur MyDarkPlaces, où chacun déposait l’inavouable, l’incontrôlable, l’infréquentable ; l’endroit du DKB qui l’intéressait. Maud décrivait ses cauchemars sur une page perso nocturne. » (Réseau(x) ; p.32)
Ainsi, tout en subissant l’influence des réseaux sociaux existants, le narrateur les réinvente et en crée de nouveaux. Sous sa plume naissent de nouveaux réseaux sociaux possibles. Toutefois, l’impact de l’esthétique des réseaux sociaux réels, sur ceux inventés par Vincent Villemont dans son roman, est évidente.
CONCLUSION
Au terme de cette analyse sur les réseaux sociaux dans les romans de science-fiction, se dessine un aller-retour, un jeu d’influence entre la fiction et la réalité. En effet, alors que William Gibson a construit le monde virtuel par anticipation dans Neuromancien, la réalité a fini par rattraper la fiction et la dépasser au point de l’influencer et de la modeler.
Toutefois, cette étude sur les réseaux sociaux anticipés dans Neuromancien et REZO, souligne l’ingéniosité de ces romanciers qui ont édifié un monde possible sans véritable référent. Ils ont réalisé l’exploit de projeter cet espace inédit dans l’imagination du lecteur par le moyen de métaphores appropriées.
Le succès fulgurant de Neuromancien a suscité l’écriture d’autres romans d’inspiration cyberpunk et marqué fortement l’univers informatique et surtout Internet. En effet, plusieurs termes inventés par William Gibson sont réutilisés à travers les réseaux sociaux. De plus, les métavers projetés par les romanciers de science-fiction sont aujourd’hui des mondes possibles actualisés.
En somme, comme dans un processus de retour en arrière, la science-fiction qui a anticipé et influencé les réseaux sociaux, est finalement marquée de l’empreinte de ceux-ci. Réseau(x) de Vincent Villemont montre une influence de l’esthétique de Facebook et MyPlace sur l’écriture romanesque.
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
- Corpus
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GIBSON Williams, 1984, Neuromancien, Paris, J’ai lu
VILLEMONT Vincent, 2013,Réseau(x), Paris, Nathan
- Ouvrages consultés
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[1] Considéré comme un sous-genre de la science-fiction, le cyberpunk est un mouvement littéraire né dans les années 80 qui a pour objet le déferlement et l’impact des télécommunications, des réseaux et des nouvelles technologies.
[2] William Gibson, Neuromancien, Paris, J’ai Lu, 1984
[3] Laurent Genefort, REZO, Paris, Fleuve Noir, 1993
[4] Vincent Villemont, Réseau(x), Paris, Nathan, 2013
[5] Thomas Michaud fait ici référence à Neuromancien de William Gibson
[6] Albert Robida, Le vingtième siècle, Paris, Georges Decaux, 1883 ; La guerre au vingtième siècle, Paris, Georges Decaux, 1887 ; etc.
[7] David Lewis, On the plurality of worlds, Oxford, Blackwell, 1986, p.2, repris et traduit dans Métaphysique contemporaine : Propriétés, mondes possibles et personnes
[8] Walter Jon Williams, Hardwired (Câblé), New York, Night Shade Books, 1986 (Prix Locus du meilleur roman de science-fiction)